C... comme conscience

 

Cannibale

On voudrait parfois être cannibale, moins pour le plaisir de dévorer tel ou tel que pour celui de le vomir. (De l’inconvénient d’être né)

Cannibalisme

Le cannibalisme représente un modèle d’économie fermée, en même temps qu’un usage propre à séduire un jour une planète comble. (La chute dans le temps)

Cathédrales

Serf, ce peuple bâtissait des cathédrales ; émancipé, il ne construit que des horreurs. (Écartèlement)

Cause

Quand je vois quelqu'un batailler pour quelque cause que ce soit, je cherche à savoir ce qui se passe dans son esprit, et d’où peut bien provenir son manque de maturité. (Syllogismes de l’amertume)

À s’enticher des causes perdues, on en arrive à penser qu’elles le sont toutes, et on ne se trompe pas complètement. (Syllogismes de l’amertume)

Cerveau

Tout persécute nos idées, à commencer par notre cerveau. (Syllogismes de l’amertume)

Changement

Les sociétés archaïques ont duré si longtemps parce qu’elles ignoraient l’envie d’innover et de se prosterner toujours devant d’autres simulacres. Quand on en change avec chaque génération, on ne doit pas s’attendre à une longévité historique. La Grèce antique et l’Europe moderne sont des types de civilisation frappée de mort précoce par suite d’une avidité de métamorphose et d’une excessive consommation de dieux et de succédanés de dieux. (Écartèlement)

Chopin

Chopin a promu le piano au rang de la phtisie. (Syllogismes de l’amertume)

Choses

La civilisation nous enseigne comment nous saisir des choses, alors que c'est à l’art de nous en dessaisir qu’elle devrait nous initier, car il n’y a pas de liberté ni de « vraie vie » sans l’apprentissage de la dépossession. Je m’empare d’un objet, je m’en estime le maître ; en fait j’en suis l’esclave, esclave je le suis également de l’instrument que je fabrique et manie. Point de nouvelle acquisition qui ne signifie une chaîne de plus, ni de facteur de puissance qui ne soit cause de faiblesse. (La chute dans le temps)

Christianisme

Le christianisme – judaïsme latin – a saupoudré de suie indélébile l’exubérance de la Méditerranée. (Bréviaire des vaincus)

Le christianisme est une réaction contre le soleil. Les religions n’ont-elles pas pour mission ambiguë de couper l’homme des sources de la vie ? (Bréviaire des vaincus)

La conception chrétienne qui fait de la souffrance un chemin vers l’amour, sinon sa principale porte d’accès, est fondamentalement erronée. Mais est-ce là le seul domaine où le christianisme se trompe ? À faire de la souffrance le chemin de l’amour, on ignore tout de son essence satanique. Les marches de la souffrance ne montent pas – elles descendent ; elles ne conduisent pas au ciel, mais en enfer. (Sur les cimes du désespoir)

Si j’avais vécu aux commencements du christianisme, j’en aurais, je le crains, subi la séduction. (Syllogismes de l’amertume)

Tout ce qui est encore vivant dans le folklore vient d’avant le christianisme. Il en est de même de tout ce qui est vivant en chacun de nous. (De l’inconvénient d’être né)

Chute

Dans une métropole, comme dans un hameau, ce qu’on aime le mieux est d’assister à la chute de ses semblables. (De l’inconvénient d’être né)

Cigarettes

Dans les épreuves cruciales, la cigarette nous est d’une aide plus efficace que les Évangiles. (Syllogismes de l’amertume)

Cinquante ans

Avant, on mourrait autour de la cinquantaine, et c'était très bien ainsi. Grâce aux médicaments, on prolonge notre existence qui a été conçue pour être brève. (Correspondance)

Citadin

Peut-on se figurer un citadin qui n’ait pas une âme d’assassin ? (Aveux et anathèmes)

Civilisation

La succession des civilisations est la série de résistances que l’homme a opposée à l’effroi de la pure existence. (De la France)

La civilisation, notre drogue, nous en sommes tellement intoxiqués que notre attachement pour elle présente les caractères d’un phénomène d’accoutumance, mélange d’extase et d’exécration. Telle qu’elle est, elle nous achèvera, nul doute là-dessus ; quant à y renoncer et à nous en affranchir, nous ne le pouvons, aujourd'hui moins que jamais. (La chute dans le temps)

La civilisation, avec tout son appareil, se fonde sur notre propension à l’irréel et à l’inutile. Consentirions-nous à réduire nos besoins, à ne satisfaire que les nécessaires, elle s’écroulerait sur l’heure. Aussi, pour durer, s’astreint-elle à nous en créer toujours de nouveaux, à les multiplier sans trêve, car la pratique généralisée de l’ataraxie entraînerait pour elle des conséquences bien plus graves qu’une guerre de destruction totale. (La chute dans le temps)

Clairvoyance (cf. lucidité)

La clairvoyance est le seul vice qui rende libre – libre dans un désert. (De l’inconvénient d’être né)

Commencement

Qu’on me montre ici-bas une seule chose qui a commencé bien et qui n’a pas fini mal. (Précis de décomposition)

Compassion

La compassion n’engage à rien, d’où sa fréquence. Nul n’est jamais mort ici-bas de la souffrance d’autrui. Quant à celui qui a prétendu mourir pour nous, il n’est pas mort : il a été mis à mort. (Sur les cimes du désespoir)

Concision

Seuls subsistent d’une œuvre deux ou trois moments : des éclairs dans du fatras. Vous dirai-je le fond de ma pensée ? Tout mot est un mot de trop. (La tentation d’exister)

Connaître

Connaître véritablement, c'est connaître l’essentiel, s’y engager, y pénétrer par le regard et non par l’analyse ni par la parole. (La chute dans le temps)

Connaissance

La connaissance à petite dose enchante ; à forte dose, elle déçoit. Plus on en sait, moins on veut en savoir. Car celui qui n’a pas souffert de la connaissance n’aura rien connu. (Sur les cimes du désespoir)

Conscience

La conscience a fait de l’animal un homme et de l’homme un démon, mais elle n’a encore transformé personne en Dieu, même si le monde se vante d’en avoir expédié un sur une croix. (Sur les cimes du désespoir)

Plus les temps avancent, plus la conscience nous accapare, nous domine et nous arrache à la vie. (Histoire et utopie)

La conscience est bien plus que l’écharde, elle est le poignard dans la chair. (De l’inconvénient d’être né)

Il y a quelque chose de sacré dans tout être qui ne sait pas qu’il existe, dans toute forme de vie indemne de conscience. Celui qui n’a jamais envié le végétal est passé à côté du drame humain. (La chute dans le temps)

Consécration

La consécration est la pire des punitions. (Entretiens)

Contemplativité

L’attitude de l’esthète face à la vie se caractérise par une passivité contemplative qui jouit du réel au gré de sa subjectivité, sans normes ni critères, et fait du monde un spectacle auquel l’homme assiste passivement. La conception « spectaculaire » de la vie élimine le tragique et les antinomies immanentes à l’existence, qui, une fois reconnues et ressenties, vous font rejoindre, dans un douloureux vertige, le drame du monde. (Sur les cimes du désespoir)

Ceux qui sont prédisposés à la contemplation de l’éternité, tels les maîtres orientaux, ignorent notre rude combat pour transcender le temps, ignorent nos efforts d’intériorisation, nous qui sommes profondément contaminés par la temporalité. La contemplation de l’éternité elle-même est pour nous une source de visions conquérantes et d’étranges enchantements. (Sur les cimes du désespoir)

Je crois que le seul moment juste dans l’histoire est la période antique de l’Inde, où on menait une vie contemplative, où on se contentait de regarder les choses sans jamais s’en occuper. C’est alors que la vie contemplative a vraiment été une réalité. (Entretiens)

Convertir

Ce n’est point pour libérer mais pour enchaîner qu’on s’applique à convertir. (La chute dans le temps)

Convictions

N’a de conviction que celui qui n’a rien approfondi. (De l’inconvénient d’être né)

Corps

Ce corps, à quoi sert-il sinon à nous faire comprendre ce que le mot tortionnaire veut dire ? (Aveux et anathèmes)

Courageux

Le courageux n’est qu’un fanfaron qui embrasse la menace, qui fuit au-devant du danger. (Précis de décomposition)

Création

La Création fut le premier acte de sabotage. (Syllogismes de l’amertume)

Cri

Si nous tenons à un minimum d’équilibre, remettons-nous en au cri, ne perdons aucune occasion pour nous y jeter et d’en proclamer l’urgence. (La chute dans le temps)

Crimes

Si tous ceux que nous avions tués en pensée disparaissaient pour de bon, la terre n’aurait plus d’habitants. (Précis de décomposition)

L’heure du crime ne sonne pas en même temps pour tous les peuples. Ainsi s’explique la permanence de l’histoire. (Syllogismes de l’amertume)

Croire

Ce qu’il faut détruire dans l’homme, c'est sa propension à croire, son appétit de puissance, sa faculté monstrueuse d’espérer, sa hantise d’un dieu. (Précis de décomposition)

On ne méditera jamais assez le mot de Kirilov sur Stavroguine : « Quand il croit il ne croit pas qu’il croit, et quand il ne croit pas il ne croit pas qu’il ne croit pas. » (La tentation d’exister)

Cynisme

Mon faible pour Talleyrand. – Quand on a pratiqué le cynisme en paroles seulement, on est plein d’admiration pour quelqu'un qui l’a magistralement traduit en actes. (Aveux et anathèmes)