L... comme lucidité

Laconisme

Est-il meilleur signe de « civilisation » que le laconisme ? S’appesantir, s’expliquer, démontrer – autant de formes de vulgarité. (Écartèlement)

Seuls subsistent d’une œuvre deux ou trois moments : des éclairs dans du fatras. Vous dirais-je le fond de ma pensée ? Tout mot est un mot de trop. (La tentation d’exister)

Qui prétend à l’élégance ne doit pas craindre la stérilité, s’y évertuer plutôt, saboter les mots au nom du Mot, porter un minimum d’atteinte au silence, ne s’en départir que par instants pour mieux y retomber. (Préface à Anthologie du portrait)

Langue

Je rêve d’une langue dont les mots, comme des poings, fracasseraient les mâchoires. (Le mauvais démiurge)

Pour un écrivain, changer de langue c'est écrire une lettre d’amour avec un dictionnaire. (Aveux et anathèmes)

Démosthène copia de sa main huit fois Thucydide. C'est comme ça qu’on apprend une langue. Il faudrait avoir le courage de transcrire tous les livres qu’on aime. (Aveux et anathèmes)

On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d’autre. (Aveux et anathèmes)

Langue (française)

Le français : idiome idéal pour traduire délicatement des sentiments équivoques. (Aveux et anathèmes)

Par tempérament, la langue française ne me convient pas : il me faut une langue sauvage, une langue d’ivrogne. Le français a été pour moi comme une camisole de force. (Entretiens)

La langue française m’a apaisé comme une camisole de force calme un fou. (Entretiens)

Larme

Les hommes n’ont pas encore compris que le temps des engouements superficiels est révolu, et qu’un cri de désespoir est bien plus révélateur que la plus subtile des arguties, qu’une larme a toujours des sources plus profondes qu’un sourire. (Sur les cimes du désespoir)

Ceux qui cèdent à leurs émotions ou à leurs caprices, ceux qui s’emportent à longueur de journée sont à l’abri de troubles graves. Pour être normaux, pour nous conserver en bonne santé, nous ne devrions pas nous modeler sur le sage mais sur l’enfant, nous rouler par terre et pleurer toutes les fois que nous en avons envie. Quoi de plus lamentable que de le vouloir et de ne pas l’oser ? Pour avoir désappris les larmes, nous sommes sans ressources – inutilement rivés à nos yeux. Dans l’Antiquité, on pleurait ; de même au Moyen-Age ou pendant le grand Siècle. Depuis, l’intermède romantique mis à part, on a jeté le discrédit sur l’un des remèdes les plus efficaces que l’homme ait jamais possédé. Toute une partie de des infirmités qui nous harcèlent, tous ces maux diffus, insidieux, indépistables, viennent de l’obligation où nous sommes de ne pas extérioriser nos fureurs ou nos afflictions. (La chute dans le temps)

Lendemain

N’ont pas d’avenir ceux qui vivent dans l’idolâtrie du lendemain. (La chute dans le temps)

Lever

Premier devoir au lever : rougir de soi. (Le mauvais démiurge)

Liberté

Dans le cours des temps, la liberté n’occupe gère plus d’instants que l’extase dans la vie d’un mystique. (Histoire et utopie)

Si mot liberté a un sens, il ne s’applique qu’à la fidélité à soi-même. (Correspondance)

La liberté a été la seule religion dans ma vie et j’ai tout fait pour éviter l’humiliation d’une carrière. (Entretiens)

Libre

Être libre, c'est s’émanciper de la quête d’un destin, c'est renoncer à faire partie des élus et des réprouvés ; être libre, c'est s’exercer à n’être rien. (La chute dans le temps)

Littérature

C'est d’un esprit de second ordre que de ne pouvoir choir entre la littérature et la « vraie nuit de l’âme. » (Exercices d’admiration)

Livre

Un livre qui, après avoir tout démoli, ne se démolit pas lui-même, nous aura exaspérés en vain. (Syllogismes de l’amertume)

Un livre est un suicide différé. (De l’inconvénient d’être né)

Je n’aime pas les livres qui se lisent comme on lit un journal : un livre doit tout bouleverser, tout remettre en question. Un livre qui laisse le lecteur pareil à ce qu’il était avant de le lire est un livre raté. (Entretiens)

Lucidité (cf. clairvoyance)

La lucidité est un vaccin contre la vie. (Le crépuscule des pensées)

L’homme qui sa vie durant pratique la lucidité devient un classique du désespoir. (Le crépuscule des pensées)

La lucidité, ne l’oublions pas, est le propre de ceux qui, par incapacité d’aimer, se désolidarisent aussi bien des autres que d’eux-mêmes. (La tentation d’exister)

Le malheur veut qu’une fois lucide, on le devienne toujours davantage : nul moyen de tricher ou de reculer. Et ce progrès s’accomplit au détriment de la vitalité, de l’instinct. (Écartèlement)

Devoir de la lucidité : arriver à un désespoir correct, à une férocité olympienne. (Syllogismes de l’amertume)

La lucidité extrême est le dernier degré de la conscience ; elle vous donne le sentiment d’avoir épuisé l’univers, de lui avoir survécu. (Entretiens)

J’ai toute ma vie nourri cette extraordinaire prétention d’être l’homme le plus lucide que j’aie connu – une forme incontestable de mégalomanie. (Entretiens)

Lumière

Ce rien de lumière en chacun de nous et qui remonte bien avant notre naissance, bien avant toutes les naissances, c'est ce qu’il nous importe de sauvegarder, si nous voulons renouer avec cette clarté lointaine, dont nous ne saurons jamais pourquoi nous fûmes séparés. (De l’inconvénient d’être né)

La lumière de l’aube est la vraie lumière, la lumière primordiale. Chaque fois que je la contemple, je bénis mes mauvaises nuits qui m’offrent l’occasion d’assister au spectacle du Commencement. (Aveux et anathèmes)

Lyrisme

Pourquoi l’homme devient-il lyrique dans la souffrance et dans l’amour ? Parce que ces deux états, bien que différents par leur nature et leur orientation, surgissent du tréfonds de l’être, du centre substantiel de la subjectivité, en quelque manière. On devient lyrique dès lors que la vie à l’intérieur de soi palpite à un rythme essentiel. Ce que nous avons d’unique et de spécifique s’accomplit dans une forme si expressive que l’individuel s’élève au plan de l’universel. Les expériences subjectives les plus profondes sont aussi les plus universelles en ce qu’elles rejoignent le fond originel de la vie. (Sur les cimes du désespoir)

Il faut des tensions démentielles pour que le lyrisme atteigne son expression suprême. [...] En règle générale, le lyrisme absolu tend à tout résoudre dans le sens de la mort. Car tout ce qui est capital a trait à la mort. (Sur les cimes du désespoir)

Le lyrisme est une expression barbare dont la valeur est faite de sang, de sincérité et de flamme. (Sur les cimes du désespoir)