Ascension du Bisaurin (2.670 m)

Accès routier  : Province d’Aragon. Vallée d’Hecho. Au village de Puente-la-Reina, entre Jaca et Huesca, prendre la route d'Hecho. Quelques kilomètres plus loin, bifurquer à droite vers Aragues del Puerto. Traverser le village et poursuivre la route qui longe le Rio Osia jusqu'aux abords du refuge de Lizara, terminus de la route (1.540 m).

Dénivelée  : 1.150 m.

Horaire  : 4 à 5 h A & R.

Difficulté  : Ascension sans difficulté à l'exception des pentes sommitales (éboulis, névés et escalade facile).

Cartographie  : Carte N°3 Béarn au 1 : 50.000 de Rando Editions. Carte n°2 au 1 : 40.000 des Editions Pirineo nantie d'un livret explicatif (Collarada/ Aspe/ Anayet/ Bisaurin)

Bibliographie : Henri Beraldi : Cent aux Pyrénées (Éditions Monhélios), Henry Russell : Souvenirs d’un montagnard (Éditions Monhélios), Miguel Angulo : 1.000 ascensions dans les Pyrénées (tome I, d'Hendaye au Somport) (Editions Elkarlanean, 2002), Louis Audoubert : Les plus beaux sommets des Pyrénées (Éditions Milan, 1998).

Du point de vue des sites traversés, le plus bel itinéraire du Bisaurin est sans conteste celui qui part des Forges d’Abel, c'est-à-dire peu ou prou celui suivi par Henry Russell en 1875. Sa variante la plus fréquentée permet de traverser la forêt d'Espalunguère et, après le bien-nommé Pas de l’Echelle, de découvrir le lac d’Estaens (ou d'Astanes) puis le vallon de los Sarrios ou cirque d’Olibón, amphithéâtre minéral jonché de blocs erratiques. On longe les austères citadelles de la Bernera, aux flancs lambrissés de névés, jusqu’au Paso du même nom (2.000 m) qui donne accès à la vallée de Secus, que l’on remonte presque en intégralité. Avant d’atteindre la crête qui en barre le fond, on récupère à gauche une ravine de gravats qui dessert le sommet. (dénivelée 1.600 m).

À partir du vallon d'Aragüès del Puerto, le cheminement du Bisaurin est à la fois plus rapide et plus évident. S’il ne réserve pas la même variété de décors que le précédent, le survol des vallées forestières d’Hecho et d’Aragüés, celui des farouches sierras d’Alano, de Lenito et de Pétragène contrebalancent amplement la relative monotonie de la marche approche.

Du refuge de Lizara, ouvert toute l'année, prendre la piste puis le GR11 qui monte plein Nord en direction des Llanos de Lizara (ou de las Fetas). On passe près d’une source et d’un abreuvoir. À l'altitude 1.650 m, s'orienter vers l'Ouest à travers les pâturages supérieurs. Bien tracé, le sentier suit le Barranco d'Espelungeta qui court au milieu des prairies tapissées de rhododendrons, des gentianes et d’arbres foudroyés. Sur notre droite, s’étire la crête dentelée des aiguilles de las Feta, terrain de jeu des isards. On parvient sans encombre au col de Foratón (2.035 m) où, sous l'œil attentif des vautours, paît un troupeau de vaches laitières.

S’élever au Nord en suivant la sente qui longe une clôture électrifiée. On surplombe l'impressionnant barranco d'Agüerri, envahi par des bancs de brume. Au sommet de la croupe, les pelouses grillées cèdent place à un terrain rocailleux. Privilégier les cairns qui filent à gauche à ceux qui montent directement. La pente se redresse, et en début de saison on aura à traverser plusieurs névés, modérément pentus. La sente se faufile dans les barres rocheuses via un système de cheminées faciles.

Longtemps enneigé, le cône sommital est garni de corniches et, à moins de posséder des ailes, on veillera à ne pas s’approcher du bord.

Le panorama mérite de figurer dans une anthologie. Au Nord, vue plongeante, par-delà la sierra de Secús, sur la vallée suspendue d’Aguas Tuertas où le rio Aragon Subordán alimenté par le torrent Rueda louvoie avec nonchalance au milieu de pelouses jonchées d’asphodèles, de lys, d’ancolies, de gentianes et autres iris. Rien n'a changé ici depuis des siècles et l'atmosphère a accumulé un prodigieux silence, une paix propice à toutes les rêveries. N'avons-nous pas sous les yeux l'image même du paradis perdu ? « La découverte de cette extraordinaire vallée, écrit Miguel Angulo, ne manque pas de charme et il faut souhaiter qu'elle restera toujours à l'abri de l'invasion des automobiles et de leur pollution sonore et visuelle. » Les équidés et les bovins qui pâturent dans cette ancienne auge glaciaire mesurent-ils leur chance ? Nul ne le sait. Mais c'est avec bienveillance qu’ils regardent les rares bipèdes qui s’aventurent dans leur fief.

Au Nord-Est, déferle une gigantesque vague de pierre où l’on reconnaît les silhouettes de l’Ossau, du Lurien, du Palas, de l’Arriel, du Balaïtous et de la Grande Fache. « Face à la splendeur de la vue, écrit Patrice de Bellefon, on a l’impression d’être parvenu sur une cime interdite et d’être admis à partager les plaisirs ésotériques d’une secte secrète. »

À l’Est, la perspective sur les massifs calcaire de la Bernera et d’Aspe, auxquels les éléments ont donné l’apparence de formidables molaires cariées, plus loin sur l’Anayet, la Collarada et ses satellites, éveille la réflexion. Les ruines ont leur beauté propre et celle-ci n’est pas la moins émouvante. Grandeur et décadence. Que l’on songe que ces sommets culminaient il y a 45 millions d’années à 7 voire 8.000 mètres. Quel aspect revêtaient-ils du temps de leur splendeur ? Aux cimes himalayennes ? Et à quoi donc ressembleront les constructions humaines dans 45 millions d’années ? Comme le dit si bien Rémy de Gourmont : « Pas un prestidigitateur n’égale la nature : elle opère sous nos yeux, en pleine lumière, et cependant il n’y a pas moyen de pénétrer ses secrets. »

À l’Ouest, zoom sur la Punta Agüerri, et plus loin sur la Navarre et la Biscaye ; au Nord-Nord-Ouest, sur les montagnes de Pétragène et le Monte Campanil ou Castillo d’Acher. Alors que de l’Ouest il ressemble à un livre entrouvert, du Bisaurin, il évoque un château médiéval démantelé par les coups de boutoirs de l’érosion. Qui sait si à un de ces créneaux ne veille pas un archer prêt à décocher ses flèches sur les importuns ?

Historique

Le Bisaurin, qui domine de 1.700 m la sauvage vallée d’Hecho à l’Ouest et de 1.500 m celle d’Aragüés au Sud, est le plus haut sommet occidental de la chaîne pyrénéenne et constitue un belvédère de choix pour qui veut observer la région ou effectuer des visées. Bien que son altitude soit relativement modeste, il est le premier sommet espagnol jamais gravi dont on ait retenu le nom du vainqueur, en l’occurrence le cartographe Vicente de Heredia en 1790. Avant la Révolution, une commission du Service de Géographie chargea des officiers militaires de délimiter le tracé de la frontière franco-espagnole. De 1786 à 1791, Reinhart Junker (versant français) et Heredia (versant espagnol) parcoururent la chaîne de l’Océan à la Méditerranée, édifièrent des tourelles sur nombre de sommets et consignèrent leurs observations afin d’établir ou de rectifier la cartographie de la région. Heredia se distinguera en "stationnant" sur des éminences majeures du Haut-Aragon. Junker parachèvera ses travaux en 1795 avec la Carte des frontières des Pyrénées depuis la vallée de Barèges jusqu’à l’Océan où figure le versant ibérique.

En 1810, Vincent de Chausenque avait aperçu du Somport deux belles têtes chauves, l’Aspe et le "Bernère" et manifesté le désir de les approcher. Aucun guide n’avait accepté de l'y mener. On était alors en pleine guerre d’Espagne, la bande transfrontalière était si peu sûre qu’on trouvait ça et là des cadavres au fond des gargantas.

Durant plus d’un demi-siècle, le massif d’Aspe (del Boso ou de la Garganta pour les Espagnols) et, plus à l’Ouest, celui du Bisaurin, vont conserver leur anonymat et leur mystère. Ils sont réputés d’accès long et difficile, pauvres en hébergement et en voies de communication. Lors d’une course réalisée en 1865, Russell fit une description saisissante de la vallée d’Aspe : « Cabanes abandonnées. Un imposant chaos. Régions affreuses, dont la solitude et la tristesse glace l’âme : l’eau seule remue et console par son murmure : il y a en a partout. Au fond, trois grands pics noirs ou rouges, zébrés de neige ayant l’air de malfaiteurs. »

Lors de sa campagne de 1871, Russell monte avec le guide Camy des Eaux-Bonnes à l’Escarpu (ou pic de Sesques) en vallée d’Ossau où il est fort impressionné au Sud-Ouest par « un austère, babylonien, énorme cylindre de marbre, une forteresse où la neige se dessine en assises ». Difficile d’évaluer sa hauteur en raison de son isolement mais quelle allure ! Comme le Batoua, il ressemble à « un lion qui menace l’Atlantique ». Il se renseigne, personne dans la vallée ne connaît son nom exact ni son altitude, ni ne sait s’il a déjà été gravi. Certains villageois le nomment la montagne de Bernère. Les Espagnols l’appellent tantôt Bisouri tantôt Visaurin.

Quatre ans plus tard, décidé à s’en emparer quel que soit son nom et son élévation, Russell remonte la vallée d’Aspe, engage à Urdos le chasseur Gil Narcisse – qui s’embarque avec son garçon de douze ans –, quitte les Forges d’Abel, où il fait provision d’un excellent vin espagnol. Montée dans la forêt d'Espalunguère à la fraîcheur bienvenue, alors qu’une chaleur tropicale plombe la région. Russell et ses compagnons franchissent le Pas de l’Échelle, atteignent le lac d’Estaëns, sur les rives duquel un troupeau de moutons de plus de 4.000 têtes prend ses aises. Un accord local prévoyait que le lac serait français une fois tous les cinq ans ; en 1875, c'est le cas et ce sont des bergers français qui occupent les cabanes. Russell échange quelques mots avec les bergers puis passe la soirée sous la coupole du ciel, étendu à même une pelouse aussi chaude et moelleuse que de la ouate. En pleine nuit, réveil en fanfare, l’approche d’un ours effraie les ovidés, les hurlements des bergers, les aboiements des chiens se révèlent insuffisants pour le tenir à distance et les bergers demandent à Russell (qui voyage armé en Espagne depuis son aventure au Cotiella) de tirer des coups de pistolet, ce qu’il fait volontiers. Impossible de se rendormir, le jour se lève.

Avec l’aube revient la canicule, et Russell décide de conclure dans la journée. Escorté du guide et du gamin, il passe le ravin de Trinxera, remonte la sauvage vallée de Sarrios, d’où il aperçoit la flèche aiguë de l’Anayet (dont il avait fait la conquête l’été précédent), et débouche dans le cirque de la Bernera, « hippodrome aussi vert que Longchamp ou le parc Monceaux, uni comme la glace, borné au Sud par des murailles neigeuses. » La beauté du site lui avait été vantée par le préfet Auribeau et des amis chasseurs qui venaient y installer leur camp de safari, passaient plusieurs jours sous tente dans un confort digne des satrapes orientaux. Au fond du cirque, il oblique à l’Ouest, se dirige vers le grand cône calciné du Bisaurin qui le toise encore de trois ou quatre cents mètres. La pente s’accentue. Une heure plus tard, le Bisaurin est gravi par un pyrénéiste. Mission accomplie. Et le visiteur est comblé : « C'est un très singulier pays, on y rêve à l’Atlas et à l’Abyssinie, malgré les névés éternels qui brillent à son front. » Au sommet, vue doublement superbe puisque le Bisaurin domine toutes les montagnes environnantes et qu’entre la mer et lui, éloignée de cent vingt kilomètres, aucune sommité d’importance ne se dresse, hormis le pic d’Anie. Après plusieurs nuits passées dans les montagnes d’Aspe, Russell regagne la France par Panticosa où il est pris pour un carliste et… emprisonné plusieurs heures avant d’être relâché. Mésaventure qui lui fait regretter de n’être pas resté plus longtemps en pleine nature. « Pas de bonheur sans liberté ! », s’écrie-t-il.