Ascension des pics de Clarabide (3.020 m)

Accès routier  : À la sortie d’Arreau, prendre la D 618 qui se dirige vers le val du Louron. À l’entrée de Loudenvielle, bifurquer à droite pour prendre une petite route qui mène en 10 kilomètres à la centrale de Tramezaygues et au pont du Prat, terminus de la route (1.230 m).

Dénivelée  : 2.000 m en deux jours (500 m + 1.350 m + 150 m de perte de dénivelée). Il est préférable de monter la veille au refuge de la Soula et de profiter d’une météo clémente (brouillard fréquent).

Horaire  : 12 h sur 2 jours (2 h + 10 h).

Difficulté  : Itinéraire d’envergure réservée aux randonneurs expérimentés, raides couloirs d’éboulis ou névé pentu en contrebas du col. Crête finale sans problème. Bâtons utiles. Crampons hors période estivale.

Cartographie : Carte Rando Editions N°23 au 1/50.000ème Aneto-Posets. Carte Pirineo N°6 au 1/40.000ème Benas/Parque Posets/Maladeta (carnet explicatif en français).

Bibliographie : Alain Bourneton : Les Grandes Pyrénées 51 randonnées entre pics, ports et rivages de France et d’Espagne (Éditions Glénat, 1995). Patrice de Bellefon : Les 100 plus belles courses et randonnées des Pyrénées (Éditions Denoël, 1976). Jean Château : Le chemin de Clarabide (Éditions Arthaud, 1970)

Henry Russell, qui réalisa la première ascension du Pic de Clarabide (alors non baptisé) à partir du col des Gourgs-Blancs après une nuit sous la grêle à 2.400 m le 5 juillet 1882 avec les guides Firmin Barrau et Célestin Passet, consigne dans ses Souvenirs qu’il s’agit « d’un pays de glace et de mystère où il reste beaucoup à découvrir. La carte d’État-major est en cet endroit plus défectueuse qu’en aucun autre. » Même si aujourd'hui les cartes sont fiables, il s’agit d’une contrée destinée à demeurer à l’écart des processions chenillères, ce qui ne saurait surprendre quand on sait que le puerto de Gias ou port frontalier de Pouchergues dépasse les 2.900 m (2.920 m). « Longtemps séparée du reste du monde par de redoutables gorges et d’exceptionnelles difficultés du relief, explique Alain Bourneton, la haute vallée de Clarabide est restée un lieu à part ayant gardé une bonne partie du mystère qui l’entourait. » L’itinéraire proposé est celui de la HRP, peu fréquenté sur cette portion, l’ascension du pic de Clarabide s’opère à moindre difficulté par le versant espagnol et le refuge d’Estos.

1er jour : Montée au refuge de la Soula. Au pont de Prat, suivre vers le Sud-Ouest le large chemin qui monte dans la forêt. Avant de démarrer, écoutons ce que nous dit du cirque de Tramesaygues, ce vestibule de Clarabide, Jean Château dans son maître ouvrage, Le chemin de Clarabide : « À droite, entre l’Estos et le Pic du Midi de Génos, le cirque se brise, et l’on devine un vallon suspendu, pris entre des falaises plus hautes encore que celles d’Estos. Ce vallon, c'est la Pez, mais à voir cette entrée farouche du bas de Tramesaygues, on peut croire que la Pez est encore plus fermée que Tramesaygues ; ce qui est faux, car d’une brèche on passe en Espagne et, par le col de la Hourque, on rejoint la Soula, dans le sanctuaire. La Pez, c'est comme une sœur cadette de Clarabide, mais une sœur moins sauvage : quand Clarabide mort, la Pez griffe. » Nous voilà prévenus !

À la première bifurcation, on laisse à droite le sentier du port de la Pez pour pénétrer dans une des hêtraies-sapinières les plus riches d’Europe. Constamment ombragé, le parcours est agrémenté de panneaux signalétiques sur la faune, la flore, la géologie, la toponymie des lieux, la construction du sentier en balcon, etc.

Vers 1.580 m, au sortir de la forêt, le chemin débouche de façon spectaculaire au-dessus des fameuses gorges. On passe auprès d’une Santeta, statuette de Notre-Dame de la Garde plusieurs fois séculaire et toujours ornée d’ex-voto. Antan, mieux valait faire le signe de croix en se risquant plus loin. « D’ici, écrivait Russell, la gorge devient scabreuse, et même un montagnard de première force ne pourrait s’en tirer sans un excellent guide, même avec carte et boussole. Dans le brouillard, tout le monde pourrait s’y perdre, la moindre glissade vous précipiterait à gauche de quatre à cinq cents mètres dans le torrent. La gorge monte au S.-S.-E, étroite et formidable, étranglée entre des pics dont les flancs se redressent çà et là presque à la verticale. » Cela, c'était en 1882.

Le chemin en balcon actuel a été mis en service par les ingénieurs Fontès et Malterre en 1895. Auparavant la remontée des gorges passait par le "Parédou", vertigineuse vire d’une cinquantaine de mètres qu’on devait franchir collé à une muraille ruisselante, accroché aux rares saillies, le précipice à ses pieds. La Santeta, déplacée plus tard, était censée protéger qui traversait la corniche. Cette voie, suivie depuis des temps immémoriaux par les chasseurs, « est, écrit Jean Château, cachée dans la forêt qui s’accroche aux pentes mais nul ne la connaît plus, et il faudrait bien des jours pour la retrouver, maintenant que l’homme a forcé la voie, enfoncé son chemin à force de dynamite, se souciant peu des corniches et des passages. ».

Même si le sentier a été retracé et consolidé lors de la construction de la centrale hydroélectrique de La Soula et du barrage du lac Caillaouas (1929-1944), on se méfiera lors des tronçons où le parapet est éboulé. Après un long parcours à flanc et une légère descente, on peut observer une toue (abri naturel servant jadis aux bergers) puis on traverse le torrent et on remonte vers le refuge (1.700 m).

2ème jour : Ascension du Clarabide. Passer entre le refuge et l’usine électrique S.H.E.M. et suivre le sentier qui descend vers le torrent. Il traverse une passerelle, laisse à droite une autre passerelle puis monte raide dans le bois, direction Sud puis Sud-Ouest. À 1.830 m, on perd un peu de dénivelée en accédant à un replat, que l’on traverse toujours rive droite de la Neste de Clarabide avant d’attaquer un ressaut rocheux envahi par les fougères.

Second plateau vers 1.920 m, le sentier descend doucement vers le talweg où court le ruisseau. On se trouve au fond d’une combe encaissée où règne un silence qui semble n’avoir pas été beaucoup troublé depuis des siècles. La crête altière de Carabide occupe le fond d’écran, l’objectif paraît encore lointain. Au niveau d’un poteau métallique, laisser à droite le sentier qui mène au port d’Aygues-Tortes pour surmonter vers le Sud-Est un escarpement. En bordure du chemin, on pourra découvrir le « Quartaou », excavation creusée de main d’homme qui permettait de mesurer les volumes de diverses denrées (sel, grain).

On atteint le déversoir du lac de Pouchergues (2.110 m), enlaidi d’un barrage et de vestiges à l’abandon. On le contourne par sa rive droite en suivant une vague sente puis des cairns louvoient au milieu d’un amoncellement de blocs concassés. Gravir un dôme herbeux en visant les grandes cascades visibles au Sud-Est.

À 2.300 m, avant d’atteindre le fond du cirque, enfiler à gauche une sente qui tourne le dos aux cascades et prend en écharpe une croupe jonchée de pierraille. Après la facile remontée d’une cheminée rocheuse (2.350 m), suivre, en s’aidant des cairns, la crête débonnaire qui mène prend de l’altitude vers le Sud-Sud-Est.

À 2.650 m, on pénètre dans un univers quasiment minéral. Au sommet d’un raidillon rocheux (cairn), on tombe sur un petit bijou enchâssé au sein d’un encorbellement de névés, de monolithes cyclopéens et de murailles disloquées : le haut lac de Clarabide : « Un lac hésitant, écrit Bourneton, sur l’état physique à adopter : souvent banquise et glaces fermes, quelquefois eaux frissonnantes aux teintes céruléennes ou virant sur l’outremer. Servant de parvis aux écrasantes parois Nord des pics de Clarabide, il est le miroir qui, au soleil, dédouble au sein des eaux, l’embrasement de cette montagne. » En plein midi, sa surface irisée reflète l’intense luminosité du ciel, difficile d’imaginer qu’un mois plus tôt des icebergs dérivaient encore entre ses rives.

Devant nous, un corridor de ruines et de caillasses instables où serpente une vague trace. On n’est pas mécontent d’en venir à bout (2.800 m).

La selle du col apparaît désormais toute proche, auparavant on doit traverser un névé peu incliné mais dont on se méfiera hors période estivale. À l’époque de Russell, le glacier de Clarabide se voyait de la plaine, et les derniers rayons du soleil en incendiaient la langue gelée. Aujourd'hui ne subsiste qu’une combe neigeuse dont on peut craindre qu’elle ne vive ses dernières saisons. Si le premier couloir était escarpé, le second s’avère un véritable toboggan, une rampe de gravillons sablonneux et de terre friable qui dérapent sous la semelle.

Puerto de Gias ou port supérieur de Pouchergues (2.920 m). À nos pieds, le lac de Gias gît dans un désert de rocaille dominé par le pic des Gourgs-Blancs et ses satellites. La voie normale de son ascension passe désormais par le port de Gias (bivouac possible au lac de Pouchergues).

On trouve à droite une sente dans la caillasse qui monte vers la crête de Clarabide en évitant divers éperons. Le pic Oriental (3.012 m) s’atteint aisément. Pour le culmen (3.020 m), descendre à un collet puis remonter le dôme. « Ces crêtes, écrivait Russell, qui, vues du Nord, semblent un casse-cou, sont en réalité si larges, si arrondies, qu'un mulet les suivrait facilement. C'est une chaîne de mamelons d'un rouge sombre et cuivré ; j'y trouvai des fleurs (Primulia integrifolia et draba aïzoides). » Lui et ses guides échangèrent des signaux avec les pâtres du lac de Pouchergues qui avaient suivi leur progression, puis revinrent en cinq heures au lac d'Oô, par le port éponyme. Les collectionneurs de "3.000" auront à cœur de moissonner le sommet Occidental (3.008 m) et le pic de Gias (3.010 m), tous deux accessibles en quinze minutes.

Vue exceptionnelle à l’Ouest sur le pic Schrader ; au Nord le Hourgade ; au Nord-Est les Gourgs-Blancs ; à l’Est la crête Seil de la Baque/Perdiguère ; à l’Est-Sud-Est la Maladeta ; au Sud, le pic de perramo ou Tuca des Corbets ; au Sud-Sud-Ouest le massif des Posets.

Comme beaucoup d'autres, Patrice de Bellefon est tombé sous le charme de cette région sauvage : «  Au-dessus de 2.000 m d’altitude, le massif Schrader-Clarabide n’est qu’un désert désolé. Cet immense cirque est triste pour ceux qui n’aiment pas la solitude et les grands espaces monotones ? Il faut marcher longtemps sans se décourager pour découvrir les joyaux cachés de ce paysage ingrat. J’ai été frappé par la beauté du lac de Clarabide qui baigne sur le socle du large versant Nord des pics qu’il baptise. Des glaces flottantes mélangent leurs reflets bleus aux profondeurs vertes qui réfléchissant une image mouvante de la face. Un calme boréal ordonne l’harmonie minérale de ce paysage montagnard. »