Ascension du pic de la Gela (2.851 m)

Accès routier  : À Gèdre, prendre la route de Gavarnie puis bifurquer deux kilomètres plus loin vers Héas et Troumouse. La route qui mène au cirque est payante du 1er juillet au 15 septembre et de 9 heures à 17 heures. Départ à 2.100 m.

Dénivelée  : 1.000 m environ compte-tenu des pertes de niveaux.

Horaire : 7 à 8 heures aller et retour (arrêts non compris).

Difficulté : Course superbe pour bons randonneurs, qui n’éprouveront aucune difficulté à gravir la Géla. Raides tronçons hors sentier en terrain délité pour accéder au col de la Sède. Prévoir provision d'eau.

Cartographie  : Carte Rando éditions N°4 au 1/50.000e Bigorre.

Bibliographie : Georges Véron 100 Randonnées dans les Hautes-Pyrénées (Éditions Randonnées Pyrénéennes).

Photographies : Cliquer sur les minatures pour agrandir les photos, garder le pointeur sur le cliché pour la légende.

Du parking, prendre le chemin de promenade qui mène aux lacs des Aires. On laisse à gauche la statue de la Vierge sur son piédestal, franchit le ruisseau du Clot, descend doucement vers les lacs dont au cœur de l’été ne subsistent que des mares où viennent s’abreuver les troupeaux. Longtemps connu des seuls bergers de la vallée d’Héas, le Cirque de Troumouse fut révélé en 1798 au public averti par le géologue Ramond de Carbonnières. Vivement frappé par sa démesure, il en fit une description que seule une photo aérienne peut surpasser. « L’espace renfermé dans une pareille enceinte, consigna-t-il, serait un gouffre s’il n’était immense : cette enceinte n’a jamais moins de huit à neuf cent mètres de haut, mais elle a plus de deux lieues de circuit ; l’air est libre, le ciel est ouvert, la terre parée de verdure ; de nombreux troupeaux s’égarent dans cette étendue dont ils ont peine à trouver les limites ; trois millions d’hommes ne la rempliraient pas, dix millions auraient place sur son amphithéâtre. »

Le géographe Franz Schrader, qui monta à la Munia en 1875 avec Henri Passet et Pierre Pujo, ne fut pas moins saisi par les proportions monumentales de l’arène. « Le cirque se dresse et nous emprisonne : la masse et la hauteur de cette muraille circulaire se sentent plus qu’elles ne se comprennent ; on est accablé en suivant des yeux cette inexorable barrière qui tourne autour du ciel et ne présente nulle part une pente abordable. »

À première vue, les parois paraissent inexpugnables et trop escarpées pour qu’on puisse s’y frayer un chemin mais bien avant la survenue de Ramond les chasseurs d’isards connaissaient les passes permettant de les franchir et ce sont eux qui y guidèrent les géodésiens. L’une d’elles est le col de la Sède, échancrure située au point le plus bas de la crête qui relie le Pic de la Sède au Nord et le Gerbats. Par beau temps, le cheminement qui y donne accès est clair.

Au niveau des lacs, le chemin s’étrécit, s’oriente au Nord à travers des croupes de pâturages. On effectue le demi-tour de l’hémicycle afin d’éviter une profonde faille où coule la cascade de Héas. On passe successivement au pied de la Munia, des Sœurs et du Pic de Troumouse, du Pic Blanc, du Pic Heid et de « l’aileron de requin » du Gerbats qui se déleste de ses ruines dans de vastes entonnoirs de calcaire délavé. En une heure, on arrive en vue de la cabane des Aires (2.130 m), en contrebas de laquelle passe le sentier qui descend à la chapelle d’Héas. Tourner le dos à l’abri pastoral, s’élever hors cairn et hors sentier vers les falaises crayeuses en suivant plus ou moins le lit d’un large ruisseau à sec encombré de blocs. On laisse à gauche le mamelon herbeux de l’Escaurède (2.270 m), contourne un curieux étang d’eau rougeâtre, surmonte plusieurs banquettes pelées avant d’approcher la base des parois (2.300 m).

Avec un peu de flair, on finit par trouver un fil cairné qui serpente sur un glacis plus vertigineux de loin que de près. Les balises sont suffisamment nombreuses pour n’avoir pas à chercher son chemin mais en cas de brouillard l’affaire s’avérerait plus délicate. La pente est sévère, la pierre désagrégée, mais les randonneurs accoutumés à ce type de configuration gagneront sans encombre (mais non sans effort) le col de la Sède (2.650 m). Vue somptueuse sur le Soum des Salettes et la Géla, mais surtout l’oule de Troumouse que l’on surplombe de plus de 500 mètres.

La longue course de crête qui relie le col de la Sède au port de la Canau est une des grandes classiques pyrénéennes. Réservée aux montagnards confirmés, elle débute par le « mauvais pas du Gerbats », vire étroite et exposée sur une trentaine de mètres, enchaîne l’escalade du Petit Pic Blanc, du Pic Heid, des pics de Troumouse, de Serre Mourène (Sierra Morena), de la Munia, s’achève avec l’ascension pas moins aérienne du Pène-Blanque et du Pic de Bouneu.

C'est cette voie périlleuse qu’en 1825 empruntèrent les officiers géodésiens Pierre Peytier et Paul-Michel Hossard, leurs guides, leurs hommes et les porteurs chargés de l’impedimenta – dont le fameux cercle répétiteur –, pour "stationner" au pic de Troumouse. Les pyrénéistes de la première heure, Henry Russell et Henri Béraldi notamment, saluèrent le courage et la conscience du devoir de ceux qui furent sans doute les premiers à se risquer sur cette dorsale côtoyant des précipices insondables, et où ils campèrent deux semaines dans des conditions météorologiques effroyables.

Au faîte de cette crête qui s’étire sur plus de cinq kilomètres trône la célèbre Munia avec ses 3.133 m, son ascension constitue un must pour tout pyrénéiste. Elle fut foulée pour la première fois en 1864 par les Britanniques Charles Packe et Barnes, les guides Firmin Barrau et le meilleur guide de Troumouse Henri Paget, dit Chapelle, également engagé par Alphonse Lequeutre en 1864 pour conquérir le Gerbats (2.924 m) et par Russell en 1869 pour ouvrir une voie nouvelle à la Munia passant par le glacier et le col désormais dénommé Passet-Chapelle, à l’Est du sommet principal.

 

Les randonneurs désireux de s’offrir la Géla ne franchiront pas la brèche de la Sède mais poursuivront versant Troumouse en se fiant à une trace dans la pierraille. On accède en dix minutes à la crête bosselée, et on la remonte jusqu’au Gerbats. Juste avant le contrefort de ce donjon à vautours, descendre légèrement pour récupérer un sentier qui file dans les éboulis vers la large selle de la Géla (2.705 m).

Poursuivre vers la base de l’imposante Géla, où une bonne sente, émaillée de quelques pas d’escalade facile, conduit au dôme sommital. Poste d’observation idéal sur la ligne frontière, le pic de la Géla fut gravi pour la première en 1865 par Russell et Chapelle, partis d’Héas, mais on peut être certain que des chasseurs et des bergers les avaient précédés depuis des temps immémoriaux.

Panorama incomparable, et reconnu comme tel : Mont-Perdu, Cylindre, Marboré, Brèche de Roland, Taillon, Gabiétous au Sud-Sud-Ouest ; Pimené et Vignemale à l’Ouest ; Pic de Port Vieux, Soum de Baroude, Punta Roya, Bachimala, Batoua, Lustou, Tendenera et Collarada à l’Est ; Soum des Salettes (Aiguillous), Campbiel, Pic Long et Pic Méchant au Nord-Ouest, Pic d’Ourdissétou, Puntas Fulsa et Suelza au Sud-Est ; et, il va sans dire, Gerbats, Munia, Robinera, Gabiédou et Troumouse.

C’est dans ce cadre sauvage, en bordure du Parc National, que risque d’être bientôt implantée une nouvelle station de ski. Si ce projet, dont les promoteurs ont le secret, abouti, elle sera en mesure de proposer 35 kilomètres de pistes, un espace débutant avec tapis roulant et 4,7 kilomètres de remontées mécaniques sur un dénivelé total de 1160 m. Auparavant, les pentes devront être sécurisées car avalancheuses. D’une superficie de 42 hectares, la station sera équipée de huit canons à neige, d’une douzaine de télésièges, d’un parking de 500 places sur 15.000 m², d’un bâtiment d’exploitation (billetterie, administration, information, maintenance…) sur environ 500 m², de locaux commerciaux (école de ski, boutiques de souvenirs, point presse, cafés, restaurants, location de matériel…) sur 1.200 m². Sont également prévues une retenue d’eau de 40. 000 m³ et sa salle des machines ainsi qu’une liaison téléportée entre l’entrée Nord du tunnel de Bielsa et les hauts de Piau-Engaly. La gare d’arrivée est annoncée semi-enterrée. Plusieurs associations luttent contre ce chantier touristico-industriel. Ceux qui se sentent concernés – et tous les amoureux de la montagne devraient l’être –, se dirigeront vers le site www.sauvons-la-gela.org

À notre insu, l’écoumène (partie de la terre occupée par l’humanité) s’étend à vitesse exponentielle et nous entraîne vers un labyrinthe de verre, de béton et d’asphalte, où les seuls espaces verts tolérés auront la taille et l’épaisseur d’un timbre-poste. « En vérité, disait Russell, il n’y a de laid dans la nature que ce que l’homme a profané, défiguré et défloré. » En France, pas moins de 165 hectares de milieux naturels et de terrains agricoles disparaissent chaque jour sous les engins de chantier, remplacés manu militari par des routes, des voies ferrées, des aéroports, des zones industrielles, des centres d’incinération, des transformateurs de haute tension, des cités dortoirs, des pôles commerciaux, des complexes cinématographiques, des postes de surveillance... et des stations de ski. Quantité ou qualité de vie, il nous faudra bientôt choisir.