Ascension du pic de Néouvielle (3.091 m)

Accès routier  : De Saint-Lary, prendre la route qui mène vers l’Espagne et le tunnel de Bielsa. À Aragnouet, suivre la direction du Cap de Long et du massif du Néouvielle. Au lac d’Orédon (péage), monter vers les lacs d’Aumar puis d’Aubert, auprès duquel on gare la voiture. Départ à 2.150 m.

Dénivelée  : 1.000 m.

Horaire  : 6 à 7 h A & R.

Difficulté  : Itinéraire de caractère alpin en début de saison dont la seconde partie se déroule sur des névés raides et s’achève par une escalade facile. Crampons, piolet ou alpenstock indispensables si enneigement. Course à effectuer de préférence avant la mi-juillet pour profiter de la neige.

Cartographie : Carte Rando Editions N°4 au 1/50.000ème Bigorre.

Bibliographie : Pascal Ravier : L’aventure du Néouvielle (Éditions Cairn, 2009). Louis Audoubert : Les plus beaux sommets des Pyrénées (Éditions Milan, 1998). Alain Bourneton : Les Grandes Pyrénées (Éditions Glénat, 1995).

Traverser le barrage et récupérer le sentier en principe cairné qui monte Sud-Ouest, vers la crête des Laquettes. En début juillet, les névés s’étirent pratiquement jusqu’au lac. L’itinéraire était bien balisé à une époque, de récentes intempéries ont emporté nombre de cairns et laminé la trace. Un bon randonneur s'y retrouve sans problème, car les points de repère sont nombreux... sauf par temps de brouillard.

On laisse un laquet gélifié en contrebas pour contourner par la gauche une barre rocheuse plâtrée de névés tardifs. Les eaux de fonte dévalent en cascades et creusent des ponts de neige, les marmottes profitent de l'apparition du soleil pour jouer à cache-cache parmi les buissons de rhododendrons. Atmosphère pyrénéenne dans toute sa splendeur.

La gourde remplie d’eau fraiche, on s’élève sur une croupe où alternent banquettes rocheuses et herbeuses et névés faiblement inclinés. Au-dessus de nos têtes s’épanouit le fameux bleu Néouvielle.

Après s’être orienté au Nord-Ouest, les pics de Madamète et d’Estibère momentanément en ligne de mire, on atteint en une petite heure la brèche de Barris (2.439 m), énorme chaos de rocs à négocier avec prudence si ceux-ci sont givrés ou détrempés.

À ce niveau, on entre dans la neige fraîche pour ne plus la quitter pendant à peu près trois heures. Du moins en début de saison, car, au cœur de l'été, on se trouve face à un immense champ de ruines. Pour l'heure, il est préférable de chausser les crampons et de s’armer d’un piolet ou d’un alpenstock. Devant nous, deux skieurs s'élancent avec circonspection. Nous nous embarquons à notre tour sur le glacier. Glacier, façon de parler, puisque celui-ci a rendu ses dernières larmes au début du siècle.

La neige est molle, stable et porte bien, la trace est nette. On se dirige vers la Brèche Chausenque, repérable à l’aiguille effilée qui la flanque : le Campanal de la Brèche. Un repère que l’on va perdre en prenant de l’altitude.

Arrivé en vue de la Brèche Chausenque, qui donne accès au refuge de la Glère et au pla de Lienz, s’orienter au mieux dans l’immense combe neigeuse qui mène au pied du pic, encore invisible au Sud-Est. A chacun d'opter pour une des traces qui sillonnent le vallon.

À mesure que l’on monte, l’inclinaison de la pente s’accentue sérieusement. Elle va atteindre environ 40° à 2.900 m, sous la pyramide sommitale, qui émerge tel un cap dans cet océan de neige.

On débarque sur le rocher à 3.050 m. Reste à grimper une quarantaine de mètres dans un empilement de blocs de granit concassés. L’escalade d’un raide couloir d’éboulis mène au pied de la crête qu’on prend à revers pour accéder à la cheminée facile qui défend la cime.

En raison de son altitude et de son retrait par rapport à l’axe de la cordillère, le Néouvielle offre une vue époustoufflante sur la plupart des hauts sommets pyrénéens, à commencer par ses voisins de palier : Turon, Trois Conseillers, pic Long, le Campbiel, Estaragne, Quatre Termes, Ramougn, pic du Midi, Estibère, Ardiden, Grande Fache, Balaïtous, Frondella, pics d’Enfer, Vignemale, Taillon, Mont-Perdu, Bachimala, Posets, Aneto, Arbizon, Bastan, Madamète, etc.

Descente : Le mieux dans ce type de terrain est de descendre à la ramasse, de bien talonner, de se servir de ses bâtons (ou piolet, s’il est suffisamment long) comme d’un gouvernail ou d’une longue rame.

Historique

Situé au Nord de la chaîne axiale des Pyrénées, le massif du Néouvielle (de l’occitan nèu vielha, Vieille neige, autrement dit neiges éternelles) est principalement composé de roches plutoniques datant du Carbonifère (300 MA). Ce gigantesque renflement granitique serait le résultat d’une infiltration de magma dans les couches sédimentaires à la fin de l’ère primaire. À l’ère quaternaire, les bouleversements géologiques et les glaciations refaçonnèrent le paysage, fracturant ici le granit, donnant ailleurs naissance à d’amples cirques en cuvette, à des sites lacustres retenus par des verrous glaciaires.

Devenue réserve naturelle nationale en 1936, le massif abrite une flore qui bat des records d’altitude en raison d’un microclimat dû à son exposition privilégiée : rhododendron, ramondia, lys martagon, digitale pourpre, arnica, pavot jaune, etc. « C'est la région par excellence, écrit Louis Audoubert, des pins à crochets, aux troncs torturés, résistants aux tempêtes de neige jusqu’à 2.500 m et dont la longévité dépasse 5 siècles. » La faune brille d’une richesse tout aussi exceptionnelle avec la marmotte, l’isard, le crapaud-accoucheur, l’euprocte, le desman, le milan, le vautour fauve, le gypaète, le percnoptère, le grand tétras et l’aigle royal.

Le massif compte quatre "3.000", une bonne douzaine si l’on ajoute les sommets du groupe Pic Long/Campbiel. Le Néouvielle, dont la forme tabulaire évoquait pour les bergers un « fer à cheval carré », entra dans la littérature pyrénéiste sous la plume de Toussaint de La Boulinère, qui fit une excursion en juillet 1812 au lac de Cap de Long et tenta l’ascension du maître de céans en suivant la crête des Laquettes. Il fut le premier à oser s’attaquer au colossal Néouvielle. Lui et son compagnon durent vite s’avouer vaincus, les difficultés dépassaient amplement leurs capacités et une chute inopportune refroidit définitivement leurs ardeurs.

« Bien jeune encore, j’ai vu les Pyrénées. La vive impression que firent sur moi leurs masses sourcilleuses ne s’est plus effacée. » Ainsi commence Les Pyrénées, ou voyages pédestres dans toutes les régions de ces montagnes, depuis l'Océan, jusqu'à la Méditerranée, l’ouvrage classique de Vincent de Chausenque publié en 1834. Il était alors âgé de 52 ans, pratiquait et étudiait la montagne pyrénéenne depuis une tretaine d'année en tant que naturaliste, géologue et historien, mais aussi et surtout par inclination. Son nom est attaché à la conquête du Néouvielle, massif qui lui fit forte impression lors de ses premières excursions dans les montagnes de Barèges. Nous sommes en 1805. « Portons nos regards, écrit-il, sur le colossal Néouvielle et ses vastes dépendances : trois grands contreforts, partant de Bergons, d’Ayré et d’Ereslids, concourent pour prêter leur appui à ce mont central que couronnent un beau glacier et trois pics inaccessibles [Ramougn, Trois Conseillers & Turon]. C'est un des points culminants de la crête primitive générale qui en compte peu de supérieurs. Dans tout cet espace, jusqu’aux murailles qui soutiennent le glacier, l’œil ne distingue que blocs amoncelés ou saillies en place, déjà attaquées par l’érosion. Toutes ces masses sont de ce granit homogène qui compose le centre et la charpente des grandes chaînes. Le Néouvielle, drapé de vastes neiges et toujours gigantesque, est la brillante couronne de toutes ces ruines et squelettes qui les cernent. À son pied est un col très élevé d’où une longue arête [la crête des Laquettes ?] me parut monter jusqu’au pic oriental. » Il se promit d’en tenter l’ascension dès qu’une opportunité se présenterait.

Parti herboriser aux cascades d’Escoubous, Chausenque tomba sur son maître Ramond de Carbonnières occupé à des prélèvements minéralogiques, et l’entretint de son intention de gravir l’éclatant, l’effrayant Néouvielle. Ramond, qui avait conçu quelques années plus tôt le même dessein afin de réaliser un croquis du Mont-Perdu, le lui déconseilla vivement. Lui-même s’était hissé à grand peine au Turon (3.035 m) et au vu l’ampleur des obstacles à venir s’était arrêté là. Chausenque insista, Ramond lui indiqua la seule voie possible selon lui : col d’Escoubous et combe orientale. Chausenque médita plus de quarante ans cette réponse.

Nous sommes en 1847, l’heure du Néouvielle a sonné. Déterminé à s’en emparer, Chausenque, qui tenait à conclure sa carrière sur un coup d’éclat, engagea le guide Bastien Teinturier le 10 juillet. Partis de Barèges à cheval en pleine nuit, ils montèrent jusqu'au plateau de Lienz puis poursuivirent à pied, passèrent au lac de la Glère, franchirent la brèche des Tourettes (devenue Brèche Chausenque), descendirent sur le glacier. « Sur ce sol perfide d’une fermeté inégale et sous un angle qui parfois n’était pas moindre de soixante-dix degrés, le bâton ferré est l’ancre, le salut, relata-t-il. » Chausenque était âgé de 65 ans, il réalisait son rêve : poser le pied sur la cime inviolée du Néouvielle. Il resta 3 heures au sommet à savourer son succès.