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Notre fine équipe se retrouve aux premiers jours de l’été à l’hospice de Rioumajou pour un trek d’envergure. Après le tour du Balaïtous, celui des Posets, ascension incluse. La plupart des randonneurs espagnols qui entreprennent l’ascension du Posets démarrent du village d’Eriste (1.120 m), montent en deux heures au refuge Angel Orus par la piste d’Estos et y passent la nuit. Le lendemain, on fait le sommet, on prend la photo et on revient dare-dare au parking. Il en faut pour tous les goûts, cela ne se discute pas, mais notre approche est radicalement différente, pour ne pas dire anachronique. On ne connaît pas une montagne, disait le comte Russell, pour l’avoir gravie à toute vapeur, il faut prendre le temps de découvrir ses mille et une facettes, y monter par différentes voies, passer plusieurs jours sur ses flancs afin de s’imprégner de l’atmosphère vernaculaire. « Plus on s’éloigne de la nature et moins on est heureux, ajouta-il. Et c'est moins étonnant que jamais, car tout va mal autour de nous. La civilisation, telle qu’elle est aujourd'hui, avec ses haines, ses vilenies, ses appétits féroces, ses maladies nouvelles et ses désenchantements, a de terribles inconvénients. Elle est bien laide et bien malsaine. Elle est en décadence et quand on ne dépend plus d’elle, quand on peut s’en passer, on la regrette si peu, et on dévore avec une telle ivresse l’air de la liberté, comme un lion échappé de sa cage, qu’il est vraiment bien excusable, en ces heures délicieuses, d’envier le sort de l’homme de la nature, et d’embrasser de temps en temps la vie sauvage, ou du moins celle qui lui ressemble le plus, c'est-à-dire celle du montagnard. » Propos ô combien d’actualité ! Nous autres citadins passons en moyenne 90% de notre temps dans des environnements fermés (surtout en temps de confinement) : domicile, travail, moyen de transport, hypermarché, gymnase, salle de spectacles, etc., autant dire que notre rapport avec la nature s’étiole inexorablement. C'est pour renouer nos liens avec elle, échapper à la frénésie de la vie moderne, chasser de nos poumons l’atmosphère viciée des métropoles que nous répondons à l’appel de la montagne. Notre objectif : un tour des Posets à notre rythme, en partant de Rioumajou afin de simplifier la logistique. |
Étape 1 : De Rioumajou à Viados |
Bivouac dans l’enclos réservé à proximité de l’Hospice, de manière à décamper de bon matin. Le soleil nous trouve frais et dispos. Les tentes pliées, on met la dernière main à nos sacs, laisse les véhicules à la garde d’un troupeau de vaches et tourne le dos à la vallée d’Aure. Le démarrage s’effectue en mode rodage. On continue la piste qui file au Sud. Au fond du vallon, on néglige à droite la HRP qui mène au port d’Ourdissetou (panneau indicateur). On franchit le ruisseau sur une passerelle et suit le chemin caillouteux orienté Sud-Est qui monte raide en sous-bois. À l’altitude 2.000 m, il descend vers le ruisseau de Millarioux qu’il faut traverser. On reprend le sentier qui grimpe à travers la sapinière puis des prairies suspendues. |
Vers 2.150 m, on arrive à la base d’un grand pierrier. On trouve une trace en lacets et des cairns, mais le balisage semble s’être volatilisé depuis belle lurette. La pente se redresse aux abords du Puerto de la Madera (2.525 m), frère jumeau du col de Cauarère, que l’on atteint en trois petites heures. La vue sur la cordillère des Posets s’étend du col de Chistau au col de la Forqueta – autant dire qu’on en prend plein les yeux. |
A la Madera, nous prend l'envie de grimper au débonnaire pic de Cauarère (punta Cabalera pour nos amis espagnols). Aussitôt dit, aussitôt fait. On déleste de nos sacs pour enfiler la sente qui épouse la large crête, ponctuée d’affleurements rocheux. |
Après quelques petits pas d’escalade, on gagne aisément le sommet (2.901 m). D’ici on pourrait continuer vers le Batoua ou pico Culfreda mais cela prendrait une bonne heure AR et l’étape n’est pas terminée. Qu’importe, le panorama est déjà somptueux. Outre le Batoua, qui crève l’écran, et son compère le Lustou, on peut reconnaître une multitude de pics de premier ordre : Campbiel, Estaragne, pic Long, Néouvielle, pic du Midi, Arbizon, etc. Versant méridional, la vue est encore plus saisissante encore sur le pic Schrader (ou Grand Bachimala) et la Punta del Sabre. Plus à l’Est, on distingue la chaîne de la Maladeta. Au Sud-Ouest, les puntas Suelza et Fulsa ont fière allure. À l’Ouest, on ne sait où porter le regard entre la sierra des Tres Marias, la Suca, le Mont-Perdu, le Marboré, la Robinera, la Munia et le pic de Barroude. |
Il faut songer à la descente. Difficile de se tromper. Contrairement au versant septentrional, la HRP est de ce côté parfaitement balisée (jaune et blanc). Jusque dans les années 1950, les arbres abattus dans la vallée de Chistau étaient acheminés aux scieries de Rioumajou sur des convois de charrettes tirées par des mules qui franchissaient la frontière au col de la Madera. En de nombreux endroits, on peut encore voir les traces des roues. Le sentier qui mène aux bordas de Viados est connu sous le nom de « chemin du bois ». Nous nous écartons du barranco de la Madera en perdant progressivement de l’altitude. Les Posets nous font face, dorés par le soleil de l’Aragon. Dans trois jours, si tout se passe bien, nous en fouleront la cime. Mais on n’en est pas encore là, tant s’en faut. |
Une suite de croupes herbeuses nous amène à un névé relativement pentu où l’un de nous dérape et casse son bâton télescopique. Plus de peur que de mal, heureusement. Après une longueur rocailleuse, le sentier s’oriente au Nord, traverse des bosquets de pins et des massifs de rhododendrons et rejoint une plate-forme herbeuse au confluent du rio de Bachimala et du rio Zinqueta de la Pez. À gauche part un sentier qui mène aux gorges et au puerto de la Pez, à droite on descend sur Viados. Le chemin surplombe désormais le torrent, le plus souvent sous la pinède. Montées et descentes alternent, sans égards pour les mollets. On passe près de la cabane effondrée de Culebra puis on distingue, de l’autre côté du barranco, le refuge de Tabernes (1.740 m), terminus d’une piste forestière, qu’on peut rejoindre en traversant le torrent. On poursuit rive droite, fidèles au balisage blanc et jaune. On récupère une piste qui descend en lacets dans la forêt et change de rive à la Fuente del Caballón. |
Au premier carrefour, après moult hésitations (camping en contrebas) nous prenons la voie de gauche. Elle ne descend pas, elle monte. Un panneau nous rassure, le refuge n’est pas loin. Nous l’atteignons fourbus mais ravis par le spectacle qui s’offre à nous. « Vus de Vidaos, disait Russell, les Posets font presque mal aux yeux. » Ils en imposent, cela est clair, nous toisent de plus de 1.600 m et offrent l’aspect d’un dinosaure fossilisé que de gigantesques forces métamorphiques auraient tourmenté puis abandonné durant des millions d’années à la furia des éléments. D’amples plissements violacés nous font imaginer les traitements subis par le mastodonte. Les rayons du soleil déclinant enflamment de reflets fauves ses hautaines murailles. |
On imagine sans peine les efforts déployés par les premiers pyrénéistes pour s’en rendre maîtres. Une prouesse à mettre à l’actif du britannique Henry Halkett qui, escorté des guides luchonnais Pierre Redonnet et Firmin Barrau, foulèrent la cime de la Punta de Llardana, ou pic des Posets, le 6 août 1856. Aucune publicité ne fut faite à cette "première" hormis un entrefilet quatre ans plus tard dans le guide touristique d’Ernest Lambron, et le nom d’Halkett sombra aux oubliettes, ainsi que celui de Llardana. Il semble admis que, partis de Luchon, les vainqueurs aient passé la frontière au port de Venasque, descendu au Plan de l’Hospital, remonté le val d’Estos, longé le lac de Baticielles, franchi soit le cuello de Perramo soit celui de la Pllana, poursuivi à travers des terrasses d’éboulis et une zone lacustre (le Llano des Ibõns ?), grimpé au col de la Paoul (3.040 m), traversé le glacier des Posets avant d’escalader la cheminée en diagonale qui conduit à la crête puis au sommet. « Jamais grande cime à vaincre n’avait été emportée à moindre bruit, déplorait Henri Béraldi. Le Posets a eu un mauvais début, sans éclat, une mauvaise "première", et il s’en est toujours ressenti : on n’a jamais pu lui réinfuser un prestige adéquat à sa vice-prééminence. » |
Étape 2 : De Viados à Angel Orus |
Grand soleil en cette seconde journée de trek. De Viados, on distingue parfaitement au Sud-Est le barranco de la Rivereta (ou Ribereta), formidable coup de cimeterre venu scinder le massif des Posets, majoritairement composé de schistes, du massif des Eriste, majoritairement composé de granits. La voie normale du col d'Eriste ou de la Forqueta suit les méandres de ce barranco pratiquement jusqu’à sa source. |
Poursuivre vers l’amont la piste qui longe les vieilles granges et se transforme en chemin muletier . Un panneau nous aiguille à travers la prairie à droite puis vers le torrent de la Zinqueta (ou Cinqueta) qu'on traverse sur un pont de rondins. |
Sur l’autre versant, le cheminement demeure confus sur une centaine de mètres jusqu'à ce qu'on répère un second panonceau au milieu d’une clairière qui indique la direction du col de la Forqueta (ou d’Eriste) : 3h 30. |
Le sentier, désormais parfaitement balisé, traverse une clairière. En fond d’écran, apparaissent les citadelles des Eriste, parées de collerettes neigeuses. |
Le parcours se poursuit en sous-bois, avec des échappées belles sur le sombre barranco de la Rivereta, vers lequel on descend pour traverser le torrent à gué. Une source ferrugineuse sourd des rochers – ceux qui manquent de fer rempliront ici leur gourde. |
Au débouché de la forêt, une rampe herbeuse bon chic bon genre, agrémentée de blocs erratiques pour faire diversion. |
En ligne de mire, la punta Millars et les Eriste arborent une silhouette altière – mieux vaut les voir de loin que de près. |
Remarquer à droite le monumental rognon éclaté ressemblant à un Ossau en miniature, il masque encore la Forqueta. Sur l'autre versant, la puissante crête des Espadas se dore au soleil : l’ample déferlement de vagues et de remous géologiques qui ornent ses parois font regretter de ne pas disposer d’une machine à remonter le temps. Longue de plus de 2 kilomètres, son élévation n’est nulle part inférieure à 3.000 m et à voir ses assises on la croirait inexpugnable. |
Après deux bonnes heures depuis Viados, on atteint une énième bifurcation (2.270 m). Laisser à droite le sentier des lacs de Millars et de Lenès pour attaquer la pente qui grimpe Sud-Est. Le col n’est plus qu’à 1h 30. |
À 2.500 m, on parvient à un ancien verrou glaciaire donnant accès à une vaste combe jonchée de décombres d’avalanches plus ou plus récentes. Superbe perspective à l'Ouest sur la monumentale Suelza, la Fulsa, la Robinera et la Munia. |
Poursuivre dans l’axe du col au milieu d’un amoncellement de débris jusqu’à buter sur un grand névé. La langue est pentue et une glissade pourrait avoir de fâcheuses conséquences. À la fin de l’été, la neige aura complètement fondue mais pour l’heure mieux vaut chausser les crampons. Nous harnacher donne lieu à la partie de plaisir habituelle : ne pas se tromper de pied, les enfiler dans le sens de la marche, les serrer suffisamment pour ne pas les perdre mais pas trop pour ne pas avoir les orteils pris dans du béton. |
Ainsi équipés, le névé se laisse aisément maîtrisé et on peut retirer les crampons pour aborder la dernière rampe d'éboulis qui dessert le col. |
Col d’Eriste ou de la Forqueta coté 2.970 m, ce qui en fait un des cols les plus élevés des Pyrénées. D’ici, on peut monter au pic de la Forqueta (3.010 m) en moins d’une demi-heure. |
Après avoir repris des forces, on descend le couloir plâtré de névés puis on s'oriente au Nord-Est en suivant scrupuleusement les cairns. |
Après avoir passé à gué plusieurs ruisseaux, on gagne le lac de Llardaneta (2.675 m), festonné de dentelle neigeuse. Des monceaux de granit de toute taille et forme s’éparpillent sur les berges. Sur notre droite, les Aiguilles de Forcau en état de délabrement avancé parachèvent le décor. La plus haute, conquise en 1914 par Henri et Roger Brulle, Motas d’Hestreux & Germain Castagné, culmine à 2.855 m. Ambiance minérale garantie. Nos gourdes remplies, on longe le plan d’eau puis la descente se poursuit rive gauche du torrent. On arrive en vue de la Canal Fonda, voie par laquelle on doit faire le lendemain l’ascension du Posets. Plus bas, bifurcation au niveau d'un cairn : à gauche, l’itinéraire du Posets, à droite celui du refuge Angel Orus ou del Forcau. |
Le sentier est désormais rebattu, il dégringole une succession de banquettes rabotées par d’anciens glaciers où il faut parfois poser la main. Une passerelle littéralement pliée en deux par un éboulement nous amène rive droite de l’Aigüeta de Grist (2.500 m). On poursuit en balcon jusqu’au refuge (2.095 m), bâtisse construite en 1981 et nantie d’une terrasse depuis 1999. |
Étape 3 : Ascension du pic desPosets |
Les deux premières étapes ont laissé des traces et certains d’entre nous aspirent à une journée de repos. Grand bien leur fasse. Les sacs allégés, les braves entre les braves s’engagent avec entrain sur le GR 11.2 emprunté la veille. Les fauves sont lâchés. Sus au Posets. |
À l’embranchement signalé par un cairn (2.650 m), on quitte l’itinéraire du col de la Forqueta et le torrent de Llardaneta pour suivre le sentier évident qui mène à la base du défilé gardé par la punta Alta (2.894 m) : la Canal Fonda ou Rue Royale (2.750 m). |
On a beau être fin juin, le couloir est occupé par plusieurs langues de neige givrée dont la déclivité va en s’accentuant. On juge préférable de chausser les crampons. |
A mi-hauteur on est amené à prendre pied sur les rochers de gauche puis un dernier névé nous dépose sur la selle neigeuse (3.010 m) située au pied de la Dent de Llardana (3.095 m), dent de requin géante gravie pour la première fois par Henri Brulle et Germain Castagné en 1913, qui trouvèrent « les gradins amusants à escalader ». |
On remise les crampons et on décolle après avoir fait un sort aux provisions. Reste 350 m de dénivelée. Une formalité. La sente caillouteuse grimpe au Nord, évite un rognon par la gauche puis chevauche allègrement l'échine de la bête. Aucune difficulté notable, les cairns sont nombreux, le cheminement jamais aérien. On progresse sur un empilement de schistes cuivrés et concassés, tantôt à gauche tantôt à droite du fil, à pleine crête pour conclure. |
Au sommet, personne. Une borne géodésique décapitée, quelques banderoles, une boîte postale dans le quel un certain Miguel a noté : « 4 heures de montée, une heure d’escale entre chien et loup. Quelle splendeur ! » |
Un couple d’Espagnols grimpe derrière nous, d’autres ont entamé la descente. Le va-et-vient sur la cime est limité en ce début de saison et cela n’est pas pour nous déplaire. Le vrai montagnard se défie des foules, touristiques ou autres, de leur sans-gêne, de leur comportement moutonnier, de leur peu de goût pour la solitude et l'effort physique. Certes, l’ascension du Posets se révèle plus pénible qu’une visite guidée au Mont Saint-Michel ou un pèlerinage à Bétharram mais ici le miracle est assuré. Séance de photo rituelle et délectation du panorama : Suelza, Mont-Perdu, Batoua, Schrader, Clarabide, Gourgs-Blancs, Seil de la Baque, Perdiguère, Maladeta, Aneto, Ballibierna, Castanesa, Tuca d’es Corbets, Eriste, Cotiella, difficile de n’être pas comblé. « D’où vient cette joie profonde qu’on éprouve à gravir les hauts sommets ? écrivait le géographe Elisée Reclus dans La Terre. D’abord, c'est une grande volupté physique de respirer un air frais et vif qui n’est point vicié par les impures émanations des plaines. L’on se sent comme renouvelé en goûtant cette atmosphère de vie ; à mesure qu’on s’élève, l’air devient plus léger ; on aspire à plus longs traits pour s’emplir les poumons ; la poitrine se gonfle, les muscles se tendent, la gaieté entre dans l’âme. Le piéton qui gravit une montagne est devenu maître de soi-même et responsable de sa propre vie. » |
Assurément, la montagne nous grandit, nous oblige à nous dépasser, nous enseigne à repousser nos limites physiques et mentales. Du même mouvement, elle nous fait prendre la mesure du temps. S’il s’écoule à une vitesse prodigieuse en milieu urbain, en haute montagne il tourne au ralenti, et nous invite à l’imiter. Alors, simple passant ou montagnard, on peut donner libre cours à ses méditations, laisser son esprit vagabonder parmi les nuages ou, mieux encore, s'alléger la cervelle, abandonner soucis et tracas aux brises des hauteurs. |
Étape 4 : D' Angel Orus à Estos par le col de la Pllana |
D’Angel Orus (2.095 m), on reprend comme la veille le sentier qui monte vers le Nord-Ouest. Avant d’arriver à la croisée des chemins, on trouve un panneau indiquant la direction du col de la Pllana. Par mauvais temps (brouillard, tempête et autre), le néophyte regardera à deux fois avant de se lancer dans cette étape qui relie Angel Orus à Estos. On se trouve pourtant sur le tracé du GR11.2 mais le cairnage est espacé et pas toujours évident. Par chance, le soleil ne lésine pas sur les moyens et on va vite distinguer à l’horizon la pyramide du Tuca d’es Corbets ou Grand pic de Perramo qui domine le col de la Pllana, point de repère essentiel. |
On descend vers le torrent que l’on traverse à gué puis le sentier une succession de croupes granitiques. À la Plleta de Llardeneta, laisser à droite la baraque éponyme (2.300 m) pour continuer en direction du Tuca d’es Corbets. |
On surplombe le barranco des Ibõnes de Grist dont on traverse le déversoir en sautant d’une pierre à l’autre pour atteindre la cuvette du lac (2.410 m). Splendide échappée sur le versant oriental des Posets et le chaînon de La Paul. |
Un peu plus nombreuses, les bornes nous conduisent à travers un petit défilé puis s’orientent à l’Ouest. On atteint sans difficulté le lac puis le col de la Pllana (2.700 m), encadré par le Tuca de Mincholet (2.865 m) et celui, très impressionnant, du Gand pic de Perramo (2.909 m), dont on peut faire l’ascension en empruntant une ravine et en escaladant la crête sur des rochers instables et décomposés (1 bonne heure A & R du col). |
On descend à l’Est vers le replat de las Basetas (laquets d’altitude) puis on arrive en vue de la troisième et plus élevée (malgré l’apparence), des Aiguilles de Perramo (2.580 m). Les singulières Tucas d’Ixeya, qui masquent le massif de la Maladeta, ajoutent au caractère sauvage de cette contrée rarement visitée. |
On néglige à regret le sentier qui descend vers le beau site lacustre de Perramo pour longer les fameuses aiguilles par la gauche en plongeant dans l’immense peyrade – pour parler comme Ramond – éboulée des parois. Les cairns sont rares, la trace se perd dans les décombres et la vigilance est de mise au passage des blocs branlants. |
On aperçoit les ibõns étagés de Baticielles, en toile de fond le Seil de la Baque couronné de neige. Russell disait que s'il existe un Eden sur terre, c'est ici qu'il faut le chercher, et son ami Charles Packe, qui découvrit la région, abondait en son sens. Laissons la parole à Russell, qui bivouaqua dans les parages à l’été 1875 : « Quels paradis terrestres que ces lacs et les immenses forêts qui les entourent, pour les explorateurs qui ont subi le charme irrésistible des ces étangs perdus dans les lointains déserts des Pyrénées, cachés sous les sapins, inconnus de la foule, et reflétant des pyramides sauvages de 3.000 mètres, des champs de neige à perte de vue, et le monde mystérieux des étoiles ! ». Même si les champs de neige ont disparu, les lieux n’ont pas perdu leur silencieuse magie. On y respire une paix qui semble appartenir à une époque où l’homme n’avait pas encore bousculé l’ordonnance de la nature. |
Le sentier gagne en netteté à l’entame de la descente vers l’ibõn Gran (2.220 m). Dans cet hinterland en apparence aride et désolé, chaque dépression, chaque repli héberge un lac, joyau miniature ou nappe d’eau, prisonnier du socle de granit primitif. Seule une minorité figure sur les cartes et on a la surprise d’en découvrir d’inconnus au détour de chemin, certains habités par des plantes qui paraissent tenir autant de l’algue que du nénuphar. |
Parvenus à l’ibõnet et sa cabane (1.870 m, panneau), se diriger Nord-Ouest en suivant un excellent chemin qui remonte jusqu’à la cote 1.995 m, ondule à travers la pinède, franchit plus bas le torrent de Montidiego, et atterrit à la clairière de la Plleta de Posets (1.940 m). On navigue avec plaisir sur des pelouses verdoyantes, où poussent touffes de buis, d’armoises et de chardons, plus en aval noisetiers et bouleaux. Des rochers moussus et ombragés invitent à la paresse. On franchit le rio Estos sur un pont de bois (1.835 m) avant de rejoindre le refuge (1.895 m), terme d’une étape mémorable par la beauté et la variété des paysages traversés. |
Étape 5 : D' Estos à Viados par le col de Chistau |
Avec le retour à Viados, notre périple autour des Posets en est à sa sixième et pénultième étape. |
Nous suivons vers l’Ouest le GR11 parfaitement tracé, rive gauche du rio Estos. On passe auprès du Tusal de La Paul, traverse le barranco de Clarabide puis la végétation s’estompe pour céder la place à des raidillons de schistes parsemés de névés résiduels. |
Au puerto de Chistau ou Gistain (2.595 m), vue subite sur la Punta del Sabre et le Bachimala (3.174 m), qui porte aussi le nom de son premier vainqueur, le géographe Franz Schrader. |
Le GR descend dans un ravin enneigé puis, avoir changé de rive, atteint la confluence de plusieurs ruisseaux (2.080 m). |
On laisse à droite l’itinéraire du port d’Añes Cruzes (en face celui du Paso de la Gatera) pour partir à gauche et traverser les torrents sous le Signal de Viados. On passe en contrebas de la cabane d’Añes Cruzes puis on s’oriente au Sud-Ouest. Le sentier en balcon suit la rive droite de la gorge où coule la Zinqueta. On dépasse la cabane de Puyareso, chemine en bordure des pâturages parsemés de granges avant d'arriver au sympathique refuge de Viados. |
Étape 6 : De Viados à Rioumajou par le col de la Madera |
La météo qui jusque là nous a été favorable se dégrade subitement durant la nuit. Au matin, ciel bouillasse et herbe détrempée par les pluies nocturnes. 8°C à l’extérieur. On se concerte. Revenir en France par la vallée de Chistau et le tunnel de Bielsa entrainerait d’invraisemblables complications mais d’une façon ou d’une autre il nous faut passer la frontière et récupérer les véhicules à Rioumajou. Donc, inutile de tergiverser, d’autant qu’une dégradation est prévue le lendemain et, au cas où le mauvais temps nous repousserait, on pourrait toujours revenir au refuge. Ce qui fait pencher la balance est le sentier parfaitement balisé qui nous a conduits du col de la Madera à Viados. Aucun risque de s’égarer, même par temps de brouillard. Chacun extirpe de son sac veste polaire, coupe-vent et poncho. On reprend la piste prise à l’aller sous la mouillasse. À la Fuente del Caballón, on récupère notre fil d’Ariane. La pinède s’ébroue à notre passage. On passe près de la cabane de Culebra sans pouvoir distinguer, de l’autre côté du barranco, le refuge de Tabernes tellement la visibilité est réduite. On rejoint le confluent du rio de Bachimala et du rio Zinqueta de la Pez avant de repasser en sous-bois. Au débouché, la vue du ciel n’incite guère à l’optimisme. Les cumulonimbus s’accumulent au-dessus des crêtes, la luminosité est telle qu’à 10 heures du matin on se croirait à la tombée de la nuit. On s’enfonce dans le crachin. Le vent souffle sans discontinuer du Nord sans parvenir à la dissiper. Estimons-nous chanceux, des amas d’énormes grêlons accumulés en bordure de chemin montrent que la tempête faisait rage un moment plus tôt. La boucle est bouclée. On a rencontré peu de randonneurs français mais beaucoup d’Espagnols, des Irlandais, et même une Autrichienne qui adore cette région et y revient tous les étés. On la comprend. Des images s’impriment durablement : la montée au col de la Madera, le passage du col la Forqueta, l’ascension du Posets, la découverte des ibons de Grist et de Baticielles, la vue du Tuca d’es Corbets, des Aiguilles de Perramo et des Tucas d’Ixeya, l’arrivée dans la riante vallée d’Estos. L’accueil qui nous a été réservé au refuge de Viados compte au nombre des bonnes surprises. Sept jours sans descendre à moins de 1.700 en altitude. Une grande bouffée d’air et d’énergie au sein de paysages rares. |