Ascension du pic de Sauvegarde (2.738 m)

Accès routier  : De Luchon, prendre la D 125 en direction de l'Hospice de France. Après le Pont de Ravi, laisser à droite la route qui mène à la vallée du Lys et Superbagnères et continuer sur la D 125 jusqu'au parking terminal. Départ à 1.385 m.

Dénivelée  : 1.350 m.

Horaire  : 7 à 8 h A & R.

Difficulté  : Ascension emblématique du belvédère des Monts-Maudits destinée aux bons randonneurs. Jusqu'en uillet, la traversée du névé au-dessus du lac inférieur de Boum du Port peut nécessiter l'usage des crampons et piolet. Entre le port de Venasque et le sommet, passage sur dalles exposées, opportunément sécurisé par une chaîne. Avant d'entreprendre cette randonnée, s'enquérir de l'état du terrain et de la météo (brouillard fréquent) auprès du Bureau des Guides de Luchon.

Cartographie : Carte Rando éditions N°4 au 1/50.000ème Bigorre. Carte n°6 au 1 : 40.000e des Editions Pirineo nantie d'un livret explicatif (Benas, Parque Posets, Maladeta).

Bibliographie : Alfred Tonnellé : Trois mois dans les Pyrénées et le Midi de la France en 1858 (Éditions Pyrémonde, 2008). Alain Bourneton : Les Grandes Pyrénées (Editions Glénat). Pierre Maes : 50 sommets sans corde, Barèges/Saint-Lary, Loudenvielle, Luchon (Editions L'Astrolabe).

L’itinéraire ne présente aucun problème d’orientation. Par bonne visibilité, la partie liminaire du parcours est parfaitement visible de l'Hospice, ancien relais des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. Restaurée, l'hôtellerie a rouvert ses portes en juillet 2009 et assure un hébergement et une restauration de qualité. En outre, un petit musée régional rappelle si besoin était que l’Hospice est depuis le XIe siècle un lieu de passage pour les pèlerins, les bergers, les colporteurs, les réfugiés et autres montagnards des deux versants. Bien révolu le temps où Ramond de Carbonnières qui, en raison de pluies diluviennes, y passa deux nuits affreuses en 1787 avec son guide Simon Guicharnaud ; la première à même le plancher du grenier, alors que la pluie ruisselait du toit dont le vent arrachait les ardoises ; la seconde, « couchés sur la terre humide du rez-de-chaussée, la tête appuyée sur un banc, troublés par les coups de vent qui enfonçaient une porte et des volets mal assurés, hantés par le bétail qui fuyait son étable inondée et occupés du soin de ranimer un feu qui était notre dernière ressource. »

Traverser le ruisseau du Pesson qui descend de la vallée de la Frèche sur le pont de Penjat, suivre direction Sud-Sud-Ouest l’excellent sentier qui grimpe rive gauche du talweg.

 

On passe devant l'entrée d'une mine désaffectée, puis auprès d’un énorme pont de neige, résidu d’un glacier qui occupait jadis presque l’intégralité du vallon. La rosée nocturne a détrempé le sol et d’épais bancs de brumes s’accrochent à nos basques, tels de vieux fantômes en mal de compagnie.

 

Le sentier s’élève en larges lacets sur des pentes herbeuses modérées avant d’enjamber une cascade à haut débit. On progresse rive droite au pied des falaises sur un terrain plus accidenté. Nouvelle cascade, nouveau gué.

 

Au-dessus d’un premier verrou glaciaire marqué de deux pierres levées, on atteint la cabane de l'Homme (2.150 m) puis on longe le Trou des chaudronniers, fosse aujourd'hui remplie d’eau stagnante où huit ouvriers qui bivouaquaient furent ensevelis par une avalanche au milieu du XIXe siècle.

 

 

On laisse à droite le refuge gardé de Venasque (2.250 m) dont le toit s’est effondré en 2013 sous le poids de la neige (température sous abri : 6°C le 29 juillet à 9 h du matin).

 

Alors que le brouillard se dégage par intermittence, on traverse la langue d'un névé surplombant le premier des quatre boums (lacs) du Port. Méfiance, une glissade ici serait synonyme de bain glacé.

Sur notre droite, le Sauvegarde émerge péniblement des fumerolles matinales, dévoilant sa prodigieuse face Nord, gaufrée à sa base de coulées neigeuses qui se déversent mollement dans le boum supérieur, lui-même en parti congelé. À la surface de cette nappe d’eau d’un profond bleu d’outremer dérivent des planches de surf gelées de la taille d’un béluga.

S'ensuit, comme le relevait Alfred Tonnellé, lors de son ascension du Sauvegarde en 1858 : « un petit lacet en tire-bouchon très roide qui grimpe le long d’une paroi de rocher et aboutit à une étroite ouverture, une vraie porte en haut du roc »,

La pente se redresse, on zigzague à travers un pierrier jouxtant un névé résiduel. Dans un rocher a été serti une plaque commémorative rappelant que le 2e bataillon de Chasseurs des montagnes de Haute Garonne, parti de Luchon le 25 janvier 1810, franchissait le port pris les neiges avec armes et bagages pour renforcer la garnison du fort de Venasque. Une vingtaine de paysans avaient au préalable taillé des marches dans la glace à l’aide de haches et de pioches.

La brèche du port a été élargie au fil des temps par des terrassiers et des escarpeurs. « Cette sortie de France est pleine de grandeur et de beauté sévère, nota Tonnellé, qui y était monté à cheval. Au-delà, voilà la masse de la Maladeta étincelante sur son piédestal de rocs désolés et le ravin profond qui nous en sépare. » On est frappé en effet par la vision de la cordillère des Monts-Maudits qui occulte l’horizon au Sud, étire ses crêtes granitiques entre les vallées de Venasque et de la Noguera Ribagorçana sur une dizaine kilomètres sans jamais s’abaisser à moins de 3.000 m. De gauche à droite, on repère aisément le Barrancs, le Nethou, le col de Coronas, le pic Maudit (Maldito), le pico Abadias, la Maladeta, l’échine du Portillon, le pic et le refuge de la Rencluse, le pic Cordier, le Sayó, le pico d’Alba et la tuca Blanca de Paderna, dont les glaces viennent lécher leurs parois.

Appelé port Neuf au XVIe siècle pour le distinguer du Vieux (celui de la Glère ou de puerto de Gorgutas), le port de Venasque permettait aux villageois des deux côtés de la frontière d’échanger leurs produits, aux caravanes de portefaix chargés de denrées diverses (sel, épices, tabac, étoffes, etc.), aux colporteurs, aux contrebandiers et aux pèlerins de Saint Jacques de Compostelle de passer d’une vallée l’autre. Le sentier fut aménagé dès 1325 sous l'impulsion des comtes de Comminges, et l’Hospice de France édifié en 1634, à deux heures à cheval de Luchon par la forêt de Jouéou ou Sajust. Travaillant à la cartographie des Pyrénées de 1716 à 1730, l'ingénieur du roi François de la Blottière fit élargir la brèche par des terrassiers et assurait que l'on pouvait dès lors relier Bagnères-de-Luchon au bourg de Venasque, en dix heures à dos de cheval.

Du port, suivre la sente cairnée qui file à l'Ouest en contrebas de la crête. Sur notre gauche, le Perdiguère, seigneur et maître du Haut Luchonnais. A sa droite, séparé de son suzerain par le col supérieur de Littérola, l’élégant pic Royo.

Les nuées se dissipent, stoppées d’un côté par les crêtes frontalières, repoussées de l’autre par le soleil éclatant du Haut-Aragon.

Léger détour pour accéder à une échancrure dans la crête: on y bénéficie d’une vue d’avion sur le système des Boums du Port. Des langues d’une neige immaculée viennent s’échouer dans leurs eaux d’un profond bleu azuré, ajoutant à la beauté du tableau.

 

 

 

À mi-parcours, on est amené à traverser des dalles exposées, le passage est sécurisé par une chaîne mais s'avère délicat en cas de pluie ou de gel.

 

Attention, comme on le voit sur les photos, la pente est très raide et la possibilité de se raccorcher aux branches bien mince.

C'est le dernier obstacle avant la remontée de la croupe sommitale, tombereau de rocailles qui se laisse gravir sans difficulté.

Splendide vue au passage sur la haute vallée de Venasque et son hospice, Perdiguère, Estos & Posets.

 

 

Le Sauvegarde, qui surplombe de 1.000 mètres l'Hospital de Venasque (1.740 m), est connu de longue date pour être le belvédère idéal sur l'Aneto et le massif de la Maladeta.

 

Panorama : Barrancs, Tucs de Mullères et de Salenques, Forcanada, cordillère de la Maladeta, Posets, Mail Pintrat, Perdiguère et pic Royo, Maubermé, Mont Valier, Bacanère, etc. En cette fin juillet 2013, la plupart de ces cimes arborent une livrée de neige qui plonge le randonneur sensible aux beautés de la nature dans un ravissement qui n’a rien d’anachronique. « Pour ceux qui n’ont pas vu les hautes montagnes couvertes de neige sous un ciel bleu et par une matinée glaciale, écrivat Henry Russell, la blancheur est un mot vide sens : ils n’ont jamais rien vu de blanc. » Au rythme où fondent les derniers glaciers des Pyrénées, la blancheur des hautes cimes risque de n'être plus qu'un lointain souvenir.

 

Des deux grandes tourelles édifiées par le cartographe Toussaint Lézat en 1849 et 1850 – premier montagnard dont on connaisse le nom à avoir fouler le sommet –, ne subsistent que des empilements de cailloux, et une douzaine de cairns informes. Un randonneur qui ne manque pas d’à-propos a planté une pancarte des Travaux Publics Remblais récents sur le plus élevé d’entre eux, apportant une note d’humour bienvenue à cette vaste plate-forme sans caractère, mais poste d’observation sans équivalent.

Un panorama d'exception qui attire aux beaux jours des dizaines de randonneurs tant français qu'espagnols qui, s'ils ne parlent pas la même langue, possèdent en commun le goût de l'effort, l'amour de la montagne et le respect de l’environnement. Moment de convivialité. De frontières, il n’en existe pas pour qui aime la montagne, la mer, le désert, la savane, la banquise ou la toundra, pour qui se retrempe aux vastes perspectives dont notre esprit est trop souvent privé en milieu urbain. Le lieu est propice à la réflexion. « Ce n’est pas moi qui me plaindrai qu’il y ait encore des Pyrénées, écrivait Russell en 1878, mais j’espère voir le jour où elles cesseront de jouer le rôle vulgaire de forteresse, ou de barrière morale entre deux Nations non seulement contiguës et amies, mais cousines. » Fameuse leçon de géopolitique, applicable en bien d’autres endroits de la planète.