< Ascension du Turbon

El Turbón par La Plana (2.492 m)

Le Turbón constitue un repère de choix auquel se sont référés bien des pyrénéistes familiers des sierras espagnoles, ainsi en 1922, lors d’un bivouac à la cabane de Lardana, au pied du Posets, Raymond d’Espouy avait noté : « Combien de fois, par le trou de serrure qui lui sert de porte, couchés durant les tristes soirées de grêle et de brouillard, avons-nous contemplé au loin, vers le Sud, dans le déchirement des nuages, la fière silhouette du Turbón qui flamboyait aux lueurs du couchant, au milieu des versants illuminés de Campo. »

Accès routier  : De Ainsa, accessible par le tunnel de Bielsa, prendre vers l’Est la direction de Campo par le col de Foradada, puis celle de Vilas del Turbón. Dépasser le pueblo d’Egea puis arrivé en vue de Serrate, suivre à gauche la piste (panneau) qui monte en lacets au plateau de la Plana, base prisée des vaches et des parapentistes. Fontaine de la Pedreña et abreuvoir en aval (1.920 m). Longue de 8 km la piste se révèle pentue et caillouteuse, dangereuse par endroits, et déconseillée aux citadines. Départ à 1.980 m.

Dénivelée  : 500 m.

Horaire : 2 à 3 heures A & R.

Difficulté : Raide peyrade de 400 m de haut à remonter en intégralité. Prévoir de l’eau en conséquence.

Cartographie  : Carte de randonnée au 1 : 25.000e El Turbón – Valle de Isábena (Alpina).

Bibliographie : Miguel Angulo : 1.000 ascensions dans les Pyrénées (tome IV, de Bielsa au Val d’Aran) (Editions Elkarlanean, 2002). Louis Audoubert : Les plus beaux sommets des Pyrénées (Editions Milan, 1995). Henri Beraldi : Cent ans aux Pyrénées (Édition Monhélios, 2011). Alain Bourneton : Les grandes Pyrénées (Editions Glénat, 1995). Maurice Gourdon : Autour du Turbón (Bulletin de la Société Ramond). Henry Russell : Souvenirs d'un montagnard (Editions Pyrémonde, 2003).

Encore plus éloigné de la chaîne axiale que son plus proche voisin, le Cotiella, dont le sépare à l’Ouest la vallée d’Esera, le Turbón domine la comarque de Ribagorza, dont il est l’emblème, de ses modestes mais imposants 2.492 m. Trapu et solitaire, il est un des rares sommets des Pyrénées à posséder la morphologie d’un fer à cheval, une gorge évasée au Nord où coule le rio San Andrián s’est creusée par effondrement entre les deux crêtes. Lorsque le brouillard prend possession des lieux, dit le proverbe, il pleut sur tout l’Aragon. Surgissent alors des gargouilles, des silhouettes encapuchonnées, des ombres interlopes…

Qu’on ne s’y trompe pas, le Macizo del Turbón est imprégné d’occultisme et de spiritualité, les historiens s’accordent pour dire qu’il était l’épicentre de la sorcellerie du Haut-Aragon à l’époque médiévale. Les sorcières se réunissaient au Fronton de las Brujas (versant oriental) pour célébrer le sabbat (spécialement la nuit de Noël), jeter des sortilèges aux bigots et introniser de nouvelles recrues. À l’évidence, il fallait mettre un terme à ces pratiques… En 1.138, Pedro de Ribagorza, un presbytre bénédictin venu du monastère de San Victorian, s’installa non loin de la dite source et y édifia avec le concours des fidèles un ermitage et une chapelle. Evincées de leur repaire, les harpies s’envolèrent vers l’asile plus sûr de l’Ereta de las Brujas au Cotiella.

Pour les botanistes, l’Afrique commence ici. Gentianes, myosotis, adonis, androsaces, daphnés, edelweiss, hélianthèmes, jacinthes, lys martagons, résédas, genévriers et autres saxifrages rivalisent d’élégance pour attirer le regard. Et si la faune se montre discrète, elle n’en est pas moins présente ; à l’aube, on peut avoir la chance d’apercevoir des isards, des chevreuils et même des sangliers. Sans parler des vautours, toujours à l’affût d’une bonne aubaine.

Le premier pyrénéiste à avoir remarqué le lointain Turbón et à le citer par son nom n’est autre que le comte Russell, la veille de son ascension du Cotiella en août 1865. À nouveau, en 1874, depuis la Suelza il en brossa un portrait resté dans les annales : « Le Turbón, qui grille au Sud-Est, doit être sans eau : on ne peut pas avoir cette couleur-là, et savoir ce que c'est de l’eau. C'est bien la cime la plus cendrée, la plus incandescente que j’aie vue en Europe. ». Mais les apparences sont trompeuses, pour être bien un amas de cendres sédimentaires, la montagne n’en est pas moins un véritable château d’eau, à tel point qu’au début du XXe siècle fut construite à Vilas del Turbón, en amont du barranco de la Torcida, une station thermale qui pompe les eaux de la Fuente de la Virgen. Considérée sacrée, pèlerins et curistes ne se font pas prier pour y remplir leurs gobelets. En 1988, c'est une usine d’embouteillage qui sortit de terre, captant précieusement jusqu’à la dernière goutte qui jaillit des entrailles de la montagne. Résultat, on risque de souffrir de la soif sur le Turbón si on s’imagine trouver des sources à profusion sur ses flancs ou des robinets sur les conduites d’eau…

S’il fut devancé au Cotiella par Russell, Schrader et quelques autres, Maurice Gourdon fut le premier pyrénéiste à explorer cet étrange massif, quasiment inconnu avant son passage. En mai 1888, il entreprit le Castillo par la Coma de San Adrián, atteignit sans encombre la cime. Il y trouva une tourelle de triangulation, probablement édifiée par le géographe Vicente de Heredia en 1890.

La voie dite normale du Turbón est celle empruntée par Gourdon en 1888 lors de la première ascension répertoriée : par San Feliu de Veri au Nord, la Muria et la combe suspendue de San Adrián, qu’elle remonte jusqu’à son extrémité Fontarruego (2.275 m.) avant d’obliquer à l’Ouest pour atteindre aisément la cime. Plusieurs variantes à cet itinéraire sont possibles.

De tous les itinéraires qui mènent au Turbón, celui qui débute à La Plana est sans conteste le plus rapide mais aussi le plus coupe-jarret.

Il n’est pas nécessaire de pousser jusqu’au refuge, d’où on bénéficie d’une vue superbe sur le massif du Cotiella.

En arrivant sur le plateau, s’élever à droite sur la croupe d’herbe pelée d’où on découvre les falaises occidentales du Turbón. Aucun problème d’orientation par temps clair. Sa double cime se trouve quasiment en face de nous.

Deux couloirs évasés permettent d’accéder à la crête. Celui de gauche comporte des portions rocheuses, celui de droite est un immense clapier où zigzague une sente vaguement cairnée. Vue du bas, elle ne semble pas particulièrement rude.

De la croupe, descendre dans la dépression en suivant la trace des 4 x4 puis attaquer la rampe d’abord herbeuse puis constituée d’éboulis croulants qui se fraye un chemin à l’écart des barres rocheuses.

Il faudra faire preuve de résilience pour gravir cette sévère pente de cailloutis qui s’éboulent sous la semelle et donnent l’impression de faire du surplace. Les bâtons trouvent là un excellent banc d’essai. Quant à un remonte-pente ici, il afficherait complet.

Comptez une petite heure pour venir à bout du couloir.

Aux abords de la crête la pente s’atténue, reste à suivre l’arête rocailleuse jusqu’à l’antécime où sont implantés un relais hertzien et une superbe table d’orientation.

La cime réelle, marquée par un cairn et une borne géodésique foudroyée, se trouve 50 m plus loin.

Le panorama se déguste sans modération : Tozal de Guara, Montañesa, Collarada, Telera, Cotiella, Munia, Néouvielle, Eriste, Posets, Perdiguero, Gallinero, Castanesa, Maladeta, Aneto, Ballibierna, Mulleres, Besiberri, Punta Alta.

Les amateurs de courses de crêtes se lanceront dans celle de l’arête occidentale (Montañeta), escalade facile mais qui nécessite à changer de versant pour éviter les difficultés aériennes de l’arête. Cette voie démarre au-dessus du refuge de la Margalida (1.435 m), accessible par la piste de la vallée de Bardagi, qui dessert le hameau de Llert. 

La voie la plus fréquentée part de Vilas de Turbón, atteint la colladeta de Porroduno, longe l’impressionnant Fronton de las Brujas, puis après le col de l’Olla, gagne la crête orientale, qui surplombe la combe de San Adrián, dont elle suit les méandres jusqu’au sommet.