Ascension du Turon de Néouvielle (3.035 m)

Accès routier  : De Barèges, prendre la route du Tourmalet, puis deux kilomètres plus loin tourner à droite en direction du plateau du Lienz. Dépasser l'auberge Chez Louisette et poursuivre sur la piste jusqu'au camp Rollot, où on laisse la voiture. Départ à 1.620 m.

Dénivelée  : 500 m + 950 m.

Horaire  : 1er jour : 2h - 2e jour : 3 heures + R.

Difficulté  : Itinéraire de toute beauté qui permet de prendre la mesure d'un massif réputé pour ses atmosphères lacustres et minérales. Course destinée aux randonneurs habitués à la haute montagne s’effectuant quasiment hors sentier mais copieusement cairnée. Passages d'escalade facile. Crampons & piolet hors saison estivale.

Cartographie : Carte Rando Editions N°4 au 1/50.000ème Bigorre.

Bibliographie : Jean-Pierre Grao: Henri Reboul L'aube du pyrénéisme (Éditions Monhélios, 2013). Pascal Ravier : L’aventure du Néouvielle (Éditions Cairn, 2009). Alain Bourneton : Les grandes Pyrénées (Éditions Glénat, 1995). Didier Castagnet : 100 sommets des Pyrénées (Rando Éditions 2007). Pierre Maes : 50 sommets sans corde Barèges/Saint-Lary (Éditions Randonnées pyrénéennes, 1989)

Jour 1

Suivre la piste forestière qui monte au Sud en bordure du bois d'Ayré-Lisey et épouse les méandres du ruisseau de la Glère. Divers raccourcis s’offrent au randonneur pour en éviter les nombreux lacets. Après avoir dépassé les bâtiments en ruines d'EDF et l’entrée d'une mine désaffectée, on atteint en deux heures le lac de la Glère dont le refuge construit à son aplomb a pris le nom (8 km).

Jour 2

Du refuge (2.120 m), prendre le sentier qui file au Sud à travers les croupes herbeuses. On surplombe le lac de la Glère puis celui Coume Escure, avec en point de mire le Néouvielle, le Turon, le Campanal de Larrens, le pic Prudent et le pic de la Coume de l'Ours.

On atteint rapidement une bifurcation (panneau). Laisser à droite le chemin qui mène au refuge Packe pour suivre la direction des lacs du Néouvielle. Une centaine de mètres plus loin, quitter le sentier principal pour emprunter à gauche une sente qui nous entraîne à travers les roches moutonnées dans une ancienne zone glaciaire, le Sarat de Lagues.

On reste à l'écart du lac et de la crête de la Mourelle puis on arrive au déversoir lac det Mail (2.350 m), que l'on franchit sur une canalisation couverte de dalles. Le sentier s'interrompt ici, à partir de là, seuls des cairns font office de guides.

En fond d'écran, le Néouvielle dont l'état semble se délabrer d'année en année.

On progresse dans l'axe du vallon en laissant le ruisseau de Maniportet en contrebas, avant de grimper au flanc d'un cirque rocheux. Les divers gradins qui se présentent se négocient au prix d'escalades faciles (I).

On débouche sur les terrasses supérieures au niveau des Lacs Verts de Maniportet (2.625 m). Face à nous, la pyramide du Néouvielle et l'arête des Trois Conseillers.

On s'embarque bientôt sur la moraine de l'ancien glacier de Maniportet, dont ne subsiste aujourd'hui qu’un névé rabougri, moraine qu'il faut remonter en intégralité. On suit cette large croupe, jonchée de tombereaux d'éboulis et de blocs fissurés. Les ravages du temps n’épargnent pas les montagnes granitiques, plus sujettes au réchauffement climatique que celles où prédomine le calcaire.

Au fur et à mesure mesure que l’on s'élève, l’inclinaison de la pente s'infléchit. On traverse plusieurs névés en perdition. À l'approche de la jonction avec l'arête des Trois Conseillers, la pose des mains ne s'avère pas inutile pour venir à bout de cette nervure rocailleuse.

Cette ultime obstacle nous dépose au pied du dôme sommital... qu'il n'y a plus qu'à gravir les mains dans les poches, comme le disait Célestin Passet.

>

Panorama

Commandant à la fois les vallées de Pragnères, au levant, et de Couplan, au couchant, notre Turon a longtemps été connu sous le nom de Neige-Vieille Caplongue – ne domine-t-il le lac éponyme (2.160 m) de près de 900 m ? Le lac de Cap de Long n'est pas le seul à miroiter au soleil, la myriade de lacs qui parsème les autres bassins montre assez quel château d'eau constitue ce massif. L'exploitation de cette précieuse ressource, qui s'effectua au prix de la dévastation des espaces naturels, ne date pas d'hier puisque lors de l'ascension du Néouvielle entreprise avec Célestin Passet en septembre 1873, le comte Russell tomba au sommet sur l’ingénieur des Ponts & Chaussées Michelier, chargé de superviser la construction d'un barrage sur le lac d'Orédon, destiné à réguler le cours de la Neste d'Aure. Russell, qui tenait ce lac pour un des joyaux pyrénéens, estimait que la digue défigurait à jamais ce sanctuaire, déjà mis à mal par les saignées forestières. Ne s'y s’aventuraient alors que des chasseurs d'isards et de rares montagnards, amoureux comme lui d'une nature sauvage et indomptée. « Un des plus grands lacs des Pyrénées, et, pour un peintre, peut-être le plus beau de tous, à cause des noires forêts de sapins qui se mirent dans les eaux, et des pics escarpés dont la neige s’y reflète. Au S.O. ce sont les crêtes hérissées du Campbiel, et plus au Midi, la pointe bien nommée du pic Méchant. Je ne conçois pas que ce beau lac soit si peu connu : sa superficie est à peu près de cinquante hectares. »

Le chantier du barrage d'Orédon, qui employa plus d'une centaine d'ouvriers, fut achevé après bien des vicissitudes en 1884. Celui de Cap-de-Long débuta en 1948 et se termina en 1953. Le lac de Loustallat, considéré par beaucoup comme l'un des plus pittoresques lacs du massif, fut annexé au lac principal et disparut corps et âme. Le barrage  nécessita l’emploi de 3.000 ouvriers, la mise en service de 24 téléphériques et de 35 km de routes asphaltées, la coulée de 700.000 m³ de béton, de 200.000 tonnes de ciment et donna lieu à des travaux de terrassement de l'ordre de 1.200.000 m³.

Inférieur de 36 m au maître des lieux, le Néouvielle de Cap de Long offre de par sa position plus méridionale une vue imprenable sur la plupart des hauts sommets pyrénéens, en particulier sur le massif Gavarnie/Mont-Perdu et celui du Vignemale. Au Sud, le pic Long (la plus haute montagne de la chaîne intégralement située en France – le Vignemale est à cheval sur la frontière), et ses parois qui versent sur le lac Tourrat polarisent l'attention, mais un peu plus à l'Est le pic Méchant, l’Estaragne et le Campbiel montrent qu'ils tutoient eux aussi les nuages.

Par derrière, on distingue le Mont-Perdu, le Cylindre du Marboré ainsi que tous les pics de la zone jusqu'au Taillon et l'Astazou. Le Néouvielle et les Trois Conseillers occultent en partie la vue sur le Pic du Midi et le Quatre Termes, mais à l'Ouest, la Grande Fache, le Balaïtous, la Frondella, l’Ardiden et le Chanchou ne passent pas inaperçus ; de même à l'Est, l'Arbizon et le Bastan.

En raison de l'altitude et du retrait par rapport à l’axe de la cordillère, sont également visibles les pics d’Enfer, le Schrader (Bachimala), les Posets, l'Aneto, le Maubermé, etc. Rien d'étonnant à ce que le Turon ait été le premier "3.000" à être gravi aux Pyrénées, n'est-ce pas l'un des meilleurs belvédères sur la chaîne ?

>

Historique Turon de Néouvielle

Le 2 ou le 3 août 1787 – soit pendant l'ascension de Saussure au Mont-Blanc –, le naturaliste Henri Reboul et l’astronome Jacques Vidal de Mirepoix, qui, entre autres projets scientifiques, ambitionnaient de déterminer l’altitude des pics les plus remarquables de la chaîne, et d'en identifier le culmen, partirent de Barèges où ils engagèrent le jeune Simon Guicharnaud, résolus à atteindre le plus haut sommet du massif, à tout le moins celui qui leur permettrait de poursuivre leur nivellement dans les meilleures conditions.

Lestés d'encombrants appareils, ils passèrent au Lienz, remontèrent la vallée de la Glère, se dirigèrent vers les lacs de Maniportet et tracèrent une voie sans doute assez proche de celle empruntée aujourd'hui par les randonneurs pour gravir le Turon, visible depuis la Glère. Sans doute les trois montagnards ont-ils louvoyé, chercher le meilleur passage – en se rappelant qu'en cette fin de 19e siècle, les glaciers étaient autrement étendus que de nos jours – et, gardant le cap au Sud à travers champs de neige et capharnaüm de rocailles, parvinrent à fouler la Neige-Vieille Caplongue, qui se trouvât être ainsi le premier "3.000" à tomber aux Pyrénées, entrant ainsi de belle manière dans l'histoire d'un pyrénéisme encore balbutiant.

L'idée de se glorifier de cette conquête ne les effleura pas et Reboul évoqua à peine cette course dans son mémoire de 1817 ; du reste, à l'époque le système métrique n'avait pas encore vu le jour (1799), on comptait en toises, et de conquête il ne pouvait être question au sens sportif du terme. En bon disciple de Saussure, Reboul se félicitait plutôt de contribuer à  débrouiller la topographie de la chaîne pyrénaïque dont on ignorait encore l’altitude des  cimes principales. Le pic Long se vit attribué 1.636 toises de hauteur, le Néouvielle 1.616 toises, et Neige-Vieille Caplongue par déduction 1.560 toises. Certes, il ne s'agissait pas du sommet dominant du massif, mais de par sa position décalée, il avait le mérite d'ouvrir de vastes perspectives, notamment sur le Vignemale, le massif Marboré/Mont-Perdu et la lointaine Maladette, qui pourrait bien coiffer les autres prétendants au trône.

Après un dénivelé de 2.000 m, place aux tours d'horizon et à l'étude de l'environnement. Défendre la cause des sciences de la nature en haute montagne ne présentait pas que des désagréments et la beauté du panorama, conjuguée au plaisir d'opérer d'un tel promontoire, compensaient amplement les difficultés rencontrées pour y accéder. « Nous sommes parvenus à porter le baromètre sur une station plus élevée que le pic du Midi et cette station a été sur Neige-Vieille, consigna Reboul. Nous avons cependant eu le regret de ne pas arriver au vrai sommet et celui où nous sommes parvenus est bien de 50 à 60 toises inférieur au plus élevé. Les observations lithologiques ont eu peu de quoi me dédommager de notre entreprise, mais bien la magnificence du spectacle, le mélange étonnant des rochers, des neiges et des amas d’eau qui rendent cette montagne la plus sauvage et la plus imposante que j’aie parcourue. »

Les deux savants étaient surpris de voir une telle profusion de lacs, et de rencontrer de tels bancs de granit aussi loin de l'axe de la chaîne. Ne pouvant, comme ils l’avaient fait au Pic du Midi, construire une cabane pour s'abriter la nuit, ils s’empressèrent de terminer leurs visées, se livrèrent à diverses expériences physiques, puis entamèrent leur descente à la tombée du jour. Enveloppés par le brouillard, ils regagnèrent Barèges, où les accueillit une nuée de féroces taons, manifestement hostiles aux avancées de la science.

Ramond de Carbonnières fit à son tour l'ascension du Turon en 1795. Par la suite, tous les pyrénéistes, de Chausenque aux frères Cadier, Ravier et Ferbos, en passant par La Boulinière, le duc de Nemours, Russell, Schrader, Baysellance, Candolle, Saint-Saud, de Monts, Brulle, Bazillac, d'Espouy, Briet, Gaurier, Robach, Heid, Sallenave, Ledormeur, Falisse, Arlaud, d'Ussel, Ollivier, Jeannel, Barrio, Bellefon, Cassinet, Fourcassié et autres, succombèrent aux charmes de ce massif qui, pour n'être pas le plus prestigieux, compte parmi les plus envoûtants et les plus chargés d'histoire du pyrénéisme.

Déclaré Réserve naturelle en 1935 à l'initiative des botanistes Chouard et Gaussen et intégré au Parc national des Pyrénées occidentales en 1967, il accueille plus de 100.000 touristes par an, et leur offre la possibilité de parcourir une montagne certes remodelée, aménagée, abondamment pourvue en refuges et en sentiers balisés, mais dont les paysages ont conservé une partie de leur magie primitive.