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Plus encore que le Bagüeña (ou tuca de Comajuaña), le pic de Barbarisa (ou Barbarizia) figure parmi les sommets boudés des randonneurs, qui n’en soupçonnent pas même l’existence. C'est le point culminant de la longue arête secondaire qui s’étire entre les Eriste ou Bagüeñola et le col de Sahun, et un belvédère de choix pour les amateurs d’open spaces et de sites sauvages. |
Au terme de la piste (belle cascade en queue de cheval), traverser le torrent sur une passerelle de planches et monter vers la cabane pastorale des Prats et son enclos à moutons (1.780 m). On trouve un panneau indiquant la direction des lacs de Barbarisa (balisage jaune et blanc). Les baliseurs espagnols ont accompli ces dernières années un magnifique travail, qu’ils en soient ici remerciés. |
Partir vers l’amont (Nord), remonter un couloir encadré par deux énormes pitons de grès où, bravant la loi de la gravité, s’accrochent divers arbustes et épineux. |
L’orientation ne pose aucun problème, le sentier s’élève en balcon, rive gauche du barranco de Llisat et de son torrent, dont il suit les méandres pratiquement jusqu’à sa source. |
On navigue à découvert, à droite de la gorge, où les eaux cristallines bondissent en cascades aux ruptures de niveau. Le relief s’ouvre et s’évase à l’infini. Le comte Russell raconte qu’en 1878, les ours étaient nombreux dans cette zone et que mieux valait garder son fusil à portée de main. Aujourd'hui, il n’y a pas que les ours à avoir été chassé des lieux, on n’aperçoit ni isard ni vautour, seules quelques marmottes manifestent leur présence. |
On franchit le ruisseau à gué avant de gravir le talus d’un ancien verrou glaciaire et de s’engager dans l’étroit défilé creusé par le torrent. |
Au débouché, on découvre le lac inférieur (2.265 m). D’un émeraude profond, il s’étale au fond d’une pleta qu’affectionnent les moutons. À droite, nous domine le puissant Tusal dels Bocs (ou Tozal de Box), dont les dunes de gravats se déversent directement dans le lac (2 heures). |
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Au fond du vallon, on distingue la masse sourcilleuse du Bagüeňa, inaccessible de ce côté. « Nul part écrit plus qu’ici, écrit Alain Bourneton, on n’éprouve l’impression de parcourir un monde neuf et conservé dans son état primitif. De plus, cette partie des Pyrénées confidentielle et hors des circuits en vogue réserve en peu d’espace d’admirables joyaux retirés au haut de leur socle de granit. » |
Laisser nettement en contrebas la trace cairnée qui, du déversoir du lac, s’élève à l’Est vers le large col del Cabo la Vall (2.540 m), aussi nommé col de la Ribereta, auquel on tourne le dos. Sentier et balisage s’arrêtent ici (2.230 m). |
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On louvoie parmi des pelouses brûlées où s’accumulent quantité de débris rocailleux, les chèvres raffolent de ce genre de terrain, les bipèdes nettement moins. La pente se redresse, à défaut de sabots, un alpenstock trouve là sa nécessité. |
De la selle (3 h), on peut gravir à droite l’éminence schisteuse en cinq minutes (2.710 m). Magnifique aperçu sur les lacs étagés de Barbarisa, cernés par le pico del Urno, les aiguilles de Sen, la peña Solana, le Bagüeňa et l’Eriste Sud. |
La grimpade au Barbarisa réclame un pied plus léger. Revenu à la selle, s’élever au Sud vers l’éminence granitique, rester quasiment toujours en crête de ressaut en ressaut jusqu’à la cime véritable (2.716 m), point culminant d’une épine bouturée à la crête principale. |
Petite escalade sur la fin en terrain sûr, sans difficulté pour un bon randonneur. |
L’impact de la civilisation est ici si minime qu’on ne trouve au sommet qu’un monceau de cailloux, sommairement empilés. Vue superbe et inattendue au Sud-Ouest sur la Cotiella et ses tributaires, véritable buisson de totems africains. À leur droite, les puntas Voltaire et la Montañesa commandent la vallée d’Ainsa. |
Au Nord-Est, la vue est bornée sur la Maladeta par l’imposante barrière qui court du Bagüeňa au Tusal dels Bocs, mais à l’Ouest, par-delà la vallée de Chistau, l’incontournable Suelza ancre le regard, tandis que, côté Pineta, miroitent les névés du massif du Mont-Perdu, prolongé par l’ample échine des Tres Marias et Montinier. Par l’échancrure du collado del Cabo la Vall, se profile l’énigmatique structure du Ballibierna. |
Face à pareil cadre, un vide salutaire emplit l’esprit, procure un sentiment de légèreté, de plénitude. Moment privilégié de contact avec l’espace et l’atmosphère des lieux. Le silence apaise à ce point qu'on en oublierait presque de redescendre. |
Historique |
Le premier pyrénéiste à visiter le Sud des Eriste est l’ingénieur des Mines Jean de Charpentier (1786-1855), relation de La Peyrouse, qui consacra quatre années à étudier la structure géologique, l’hydrologie et la glaciologie de la chaîne pyrénéenne, et à relever l’altitude de nombreux cols au baromètre. En 1811, il s’embarqua pour une ambitieuse tournée qui l’entraîna de Luchon à Gavarnie par Venasque, San Juan de Plan, Saravillo et Bielsa. De passage au col de Sahun, il découvrit sur les flancs du pic de Barbarisa « un graphite d’une si grande pureté qu’on pourrait s’en servir avantageusement pour en fabriquer des crayons d’une qualité supérieure. » De retour à Toulouse, il mit en chantier un Essai sur la constitution géognostique des Pyrénées, un autre consacré à ses courses en montagne, et un troisième sur le basque et les différents patois des Pyrénées, dont il était devenu passionné. Maurice Gourdon, qui en juillet 1879 prospectait sur un filon de grenat à proximité de l’ibon de Pardines, ne put résister au plaisir de gravir le sommet dominant du secteur, le pic de Bagüeňa ou Tuc de Comajuana (2.946 m), qu’il nomme le pic de Comacuna. Sur sa lancée, il s’adjugea le Tozal de Box, situé entre les Eriste et le col de Sahun, de l’autre côté du barranco de Llisat qui le sépare du chaînon de Barbarisa. L’auteur de la première ascension du Barbarisa est inconnu, si ce n’est Charpentier sans doute un chasseur ou un berger familier des lieux.. |