Ascension de l'Escaleta (2.465 m)

Accès routier  : De Luchon, passer la frontière au col du Portillon, descendre vers Bossost, prendre à droite la N 230 vers Vielha puis, une dizaine de kilomètres plus loin, à droite de nouveau, la petite route qui traverse le village d’Es Bordes. La suivre jusqu’à son terminus, l’Artiga de Lin (1.405 m). Sérieusement endommagée par les précipitations du printemps 2013, cette route de montagne, étroite, sinueuse mais carrossable, se transforme en piste sur plusieurs tronçons. L’Artiga de Lin est le point de départ d’une des trois voies normales de l’ascension de la Forcanada (1.600 m de dénivelée, 9 à 10h A & R), conquise par Alfred Tonnellé en 1858.

Dénivelée  : 1.100 m.

Horaire : 6 à 7 h A & R.

Difficulté : Itinéraire de moyenne montagne pour bons randonneurs. À partir de la mi-juillet, piolet et crampons ne sont pas nécessaires.

Cartographie : Carte de randonnées N°23 au 1 : 50.000e de Rando Éditions (Aneto-Posets). Carte N°11 au 1 : 40.000e (Valle de Arán) des Editions Pirineo nantie d'un livret explicatif en espagnol.

Bibliographie : Vincent de Chausenque : Les Pyrénées, ou voyages pédestres dans toutes les régions de ces montagnes, depuis l'Océan, jusqu'à la Méditerranée (1834, Google Books). Alfred Tonnellé : Trois mois dans les Pyrénées et le Midi de la France en 1858 (Éditions Pyrémonde, 2008). Louis Audoubert : 50 balades et randonnées en val d’Aran et Encantats (Éditions Milan, 1995).

Dès l’arrivée à l’Artiga de Lin, la vue est aimantée au Sud-Ouest par le large canal de la Rivereta de Lin, coteau de transfluence glaciaire encadré par le Mall de l’Artiga (2.709 m) et la peña Nera (2.576 m). Lors de la dernière glaciation, le glacier de l’Esera était plus important que celui qui descendait du col du Toro et se déversait dans celui de Joèu. Le travail des glaces provoquait la formation de vallées suspendues, comme celle de Pomèro. Le torrent qui dévale les pentes du canal alimente les eaux de fonte du massif de la Maladeta qui s’engouffrent au Trou du Toro ou Forau de Aiguallut, au pied du pic de la Rencluse, traversent souterrainement la montagne pour ressurgir près de 4 kilomètres plus loin à proximité de l’Artiga de Lin, au lieu-dit Guells del Joèu (Œil de Jupiter), à 1.658 m d’altitude. Cette hypothèse, déjà formulée au XVIIIe siècle par Ramond de Carbonnières, a été confirmée par l’expérience du spéléologue Norbert Casteret en 1931. Contrairement à une idée longtemps accréditée dans le val d’Aran, le Joèu est bien la véritable source de la Garonne, le ruisselet qui prend naissance au Plan de Béret, au Nord-Est de Salardú, non loin de la station de sports d’hiver de Baqueira, n’en constitue qu’un des affluents, malgré une altitude supérieure (1.860 m).

À droite du parking, on trouve un panneau indiquant la direction du port de la Picade (2h15, 4,3 km). L’itinéraire, qui remonte en intégralité le vallon de Pomèro, a été suivi et entretenu depuis des temps immémoriaux par les Aranais désireux de rejoindre soit la vallée de Venasque, soit Luchon par le Pas de l’Escalette et la vallée de la Frèche. Itinéraire balisé jaune et blanc.

Passé le refuge, on pénètre en sous-bois le long d’une ancienne piste forestière interrompue au bout de 500 m par une ravine où bouillonne le torrent de Pomèro. La passerelle qui l’enjambe, régulièrement malmenée par les coulées printanières, oblige le passant à quelques acrobaties. Vincent de Chausenque éprouva lui-même de sérieuses difficultés à franchir ce gué, dont il émergea douché de frais. « Gonflé par les neiges en pleine fusion, raconte-t-il, le passage du torrent était difficile, ce ne fut qu’après une pénible recherche et en nous exposant à l’immersion, que quelques pierres et un tronc de bouleau nous le facilitèrent, au travers des rejaillissements dont nous fûmes inondés. »

Sortir presque aussitôt de la forêt (cairn discret à gauche) pour déboucher sur les lumineux pâturages du vallon de Pomèro. Impression d’accéder à un sanctuaire préservé, miraculeusement épargné par le passage du temps. L’espace s’élargit de croupe en croupe.

On progresse rive gauche du rio, à l’écart du talweg sur des pelouses aux pentes modérées. Sur l’autre versant, une bergerie isolée auprès de laquelle paît un troupeau de vaches (1.860 m). À l’époque de Chausenque, les neiges descendaient quasiment jusqu’à la cabane.

Le sentier déroule son fil sur une prairie jonchée de gentianes, de lys martagon, d’agonits tue loup, de verges d’or et autres chardons, les marmottes profitent de cette manne florale pour se remplir la panse. Avec un peu de chance, on peut tomber sur une rosalie alpina, beau coléoptère aux couleurs bleutées, ou un papillon Apollon aux ailes de paon. Aucun isard ni chevreuil en vue. De bipède encore moins. Le ciel est d’un bleu limpide, l’air vif et embaumé, deux vautours barbus planent avec nonchalance au-dessus des cimes.

La déclivité augmente aux abords du long névé qui occupe la dernière partie du val de Pomèro. Une sente à droite en évite la pointe puis cède place à un goulet rocailleux sans difficulté notable.

Le sentier s’élève à flanc de cette dépression, croise des résurgences ferrugineuses. Les vautours barbus aiment y barboter, donnant incidemment à leur plumage une couleur orangée. Comme le gypaète, ce charognard laisse tomber les os des carcasses sur des rochers pour les briser et en sucer la moelle.

On arrive à un premier col, le Pas de l’Escalette (collado de la Escaleta ou còth d'Infern (2.396 m), situé au pied du Soum de l’Escalette. Nous y reviendrons après être monté au port de la Picade, visible de l’autre côté d’une auge glaciaire jadis occupée par un lac. Ne subsiste qu’un tapis de neige qui se redresse à son extrémité. Chausenque et son guide s’y enfoncèrent jusqu’à la ceinture. « Du fond de cet éblouissant entonnoir, relate-t-il, le ciel avait l’apparence d’une voûte de noir pur, supportée par des parois où des étincelles jaillissaient de toutes parts ; et dont l’éclat devenait insoutenable. »

On bute sur un petit talus de neige gelée, plus ou moins pentu suivant la saison avant d'atteindre le Puerto de la Picada ou port de la Picade (2.470 m). En lieu et place de cairn, un vulgaire tas de cailloux.

On peut gravir l’éminence au Sud anonyme (2520 m) pour profiter d’une meilleure perspective sur le Nethou et le massif de la Maladeta, mais il est préférable de perdre un peu d’altitude versant Ouest dans le vallon de la Costera pour bénéficier en prime d’une vue sur le revers du Sauvegarde, le port de Venasque et le pic de la Picade, ainsi qu’à l’horizon sur le Perdiguero.

Pour le Soum de l’Escalette, se diriger vers un rognon rocheux en suivant un chemin aménagé à la fin du XVIIIe siècle par une équipe de terrassiers pour faciliter l’accès au sommet des excursionnistes luchonnais. Les dames en crinoline grimpaient en amazone sur la croupe d'un cheval, les messieurs montaient pédibus, bâton de berger à la main, les guides portaient le pique-nique.

On passe sous un rognon rocheux avant d’atteindre une selle herbeuse entre un dôme marqué d’une borne frontière et le Soum de l’Escalette, accessible en dix minutes.

Panorama d’exception, on ne sait où porter le regard : au Sud, la Forcanada, les tucas de Mullères et de Salenques ; au Sud-Ouest, la cordillère de la Maladeta en intégralité, Aneto superbe, dorsale du Portillon émergeant des neiges ; plus à l’Ouest, le Sauvegarde, les sommités frontalières du Haut-Luchonnais, à commencer par le monumental Perdiguero ; au Nord-Est, derrière l’Entécade, l’ensemble Montlude-Usheira du val d’Aran ; à l’Est, les cimes d’Andorre et des Encantats ; à nos pieds, la vallée de la Frèche, les crêtes de Crabidès et de la Mounjoye, les verdoyantes collines de Pouylané et de Campsaure.

Pareil spectacle nous remet en mémoire une réflexion de Malcolm de Chazal dans son magique  n’ayons pas peur des mots, sinon ils auront peur de nous  Sens-plastique : « Une nature rectiligne et géométrique rendrait l’humanité folle à brève échéance. »

De retour au Pas de l’Escalette, on peut rejoindre l’ermitage de l’Artiga (1.290 m) en suivant un excellent sentier qui longe les crêtes de Crabidès, passe au port de la Mounjoye (2.070 m), puis descend dans la combe d’Aubert jusqu’à la route qui remonte le barranco de Joèu. Un autre circuit, le PRC-115, destiné aux VTT, regagne le plateau de Campsaure ou l’Hospice de France.

Historique

Le premier "touriste" à être subjugué par la beauté du site n’est autre que le naturaliste Vincent de Chausenque (1781-1868). Après une tournée dans les Pyrénées orientales en 1823 avec Arbanère, un ancien condisciple, lors duquel seront gravis le Canigou et le Saint-Barthélemy, Chausenque quitte Luchon pour une reconnaissance dans le Val d’Aran et le Couserans. Il compte franchir le col de Salau mais son guide Martre s’égare, et engagé sur une pente de neige glacée, il manque de se rompre le cou. À son arrivée à l’Artiga de Lin, il trouve les bergers occupés à réparés une clôture destinée à empêcher ours et loups d’attaquer le bétail tandis des équipes de bûcherons abattent leur cognée sur les plus beaux sapins et hêtres de la forêt. Persuadé de voir jaillir la source de la Garonne au gouffre karstique de Joèu, il se déclare « non moins heureux que Bruce, lorsqu’il crut découvrir les sources sacrées du Nil. »

De passage au port de la Picade, il a tout loisir d’admirer les cimes et les glaciers de la Maladeta. « Ses vastes flancs où çà et là quelques rocs noirs font saillie au-dessus des glaciers, se couronnent d’une longue crête relevée à l’Est dans le pic du Nethou, et déclinent ensuite vers le pied d’un superbe cône aigu qui porte plus haut encore les neiges les plus pures. Ce le plus oriental est le point culminant du système entier ; après lui tout s’abaisse. » Martre lui désigne l’endroit où, deux ans plus tôt, a été englouti le guide Pierre Barrau, drame relaté par Chausenque avec un sens achevé de la mise en scène. Sa campagne s’achève par une course au lac d’Oô et au cirque d’Espingo, « paysage pareil à ceux que les monts du Groenland ou de Baffin doivent offrir aux hardis pêcheurs du pôle. »

L’Artiga de Lin va recevoir la visite d’un autre grand pyrénéiste, le météorique Alfred Tonnellé, qui y fit halte après avoir conquis la bifide Forcanada (ou Mall des Pois, 2.881 m). « Vue magnifique, les montagnes roses d’Aran terminent cette vaste perspective. Au fond, la pointe sublime de la Forcanada, ubi stetimus. »