Ascension de la Suga d'Añisclo (2.781 m)

Accès routier  : Province d'Aragon, vallée de Bielsa. À Escalona, prendre la direction des Gorges d'Añisclo puis à droite celle de Puertolas. Traverser ce village et emprunter 500 m plus loin la direction de Bestué. On dépasse ce hameau pour prendre 2,5 km plus loin la piste de la Montaña de Sensa (panneau indicateur). Elle contourne le Castillo Major et atteint au bout de 10 kilomètres le col de Plana Canal. Son état médiocre de la piste la réserve de préférence aux utilisateurs de 4x4. Au-delà du col, la piste est, selon la formule consacrée, interdite aux personnes non autorisées, c'est-à-dire réservée aux bergers et aux gardes du Parc National. Départ à 1.750 m.

Dénivelée  : 1.100 m.

Horaire  : 8 à 9 h A & R.

Difficulté  : Magnifique course réservée aux montagnards ou aux randonneurs expérimentés. Le cairnage se révèle aléatoire et, pour être limitées, les difficultés sont régulières et les pentes finales assez raides (rocs et éboulis). À n’entreprendre que par beau temps, en cas de brouillard ou de mauvais temps, au-delà du col de Vizeto le cheminement pourrait devenir problématique, voire dangereux. Éclipsé par celui du Perdido, ce chaînon est rarement visité, aussi les sentes sont-elles effacées et les balises rares, et on a davantage de chance de croiser un sanglier ou un isard qu’un randonneur. Univers minéral, dépaysement nature et solitude garantis. Idéal pour se ressourcer.

Cartographie  : Carte n°4 au 1 : 40.000 des Editions Pirineo nantie d'un livret explicatif (Parque nacional de Ordesa y Monte Perdido)

Bibliographie : Aussi étonnant que cela paraisse, peu d’auteurs décrivent l’itinéraire de la Suca par le sud et le col de Vizeto. Dans le tome III de Pyrénées 1.000 Ascensions (De Gavarnie à Bielsa), Angulo limite son propos à la montée par la Pineta et le col d’Anisclo (1.560 m de dénivelée) et conclut de façon laconique : « ascension raide et directe sur une arête rocheuse en terrain peu sûr et délicat. » On trouve le circuit de la Suca et des Tres Marias avec bivouac (2.000 m de dénivelée) dans le très beau livre d’Alain Bourneton Les Grandes Pyrénées (Éditions Glénat, 1995). « Sous une apparente uniformité, écrit-il, cette montagne, consumée par un rayonnement à son apogée, possède de petites merveilles. À côté d’uniformes terrasses et des masses quadrillées par des réseaux de fentes béantes, à une autre échelle, se sont formés de surprenants enfoncements, cirques et formidables tranchées murées de parois sans défauts. » Autre topo sur la Suca et les Tres Marias avec bivouacs à partir du Portillon de Tella dans le classique de Louis Audoubert : Les plus beaux sommets des Pyrénées (Editions Milan, 1995).

Au col de Plana Canal, tourner le dos au Sestrales et s'engager sur la piste qui se dirige vers le Nord-Ouest. En chemin, on a quelquefois la suprise de voir débouler une fringante harde de sangliers poivre et sel. Indifférents à la présence humaine, ils ont tôt fait de disparaître dans les fourrés qui surplombent le canyon d'Añisclo (aussi nommé canyon de Niscle)

Au refuge de San Vicenda (1.750 m), quitter le GR qui longe le barranco d'Añisclo et se rapprocher du paso de Fordiello pour suivre vers le Nord-Est le sentier qui monte vers le cuello de Vizeto (que l’on peut également atteindre à partir d’Escain et de Tella) en longeant un cours d’eau (source et abreuvoir). Lorsque le sentier s’efface vers 1.900 m, des traces s’orientent vers l’Est, nous guident vers le col herbeux de Vizeto (1.995 m), reconnaissable à son abreuvoir rectiligne.

Enveloppées de brouillard, ruissellantes de rosée, les vaches méditent sur leur karma, les chevaux attroupés autour des sacs de sel regardent passer le randonneur comme un extra-terrestre. Ici, on ne risque pas de rencontrer la foule, la nature est préservée et les rares montagnards qui s’aventurent ici le font en connaissance de cause. Le ciel instable interpelle, nuages menaçants, bancs de brume et éclaircies alternent et la température varie du programme laine au dégivrage. Persévérer or not ? En haute montagne, c'est un peu le coup de poker.

S'attaquer, hors sentier et hors cairn, à la raide croupe d’herbes et d’éboulis qui se dresse au nord : la Montaña de Sensa, célèbre pour la qualité de son « pastizal », herbage dont se régalent chevaux, vaches et moutons. Grimpette éprouvante dont le panorama qui nous attend plus haut récompense amplement.

Au sommet de la butte (2.350 m), le but de la rando apparait encore lointain : mais la Suca et les Marias sortent des limbes et le bleu du ciel gagne du terrain.

Du promontoire de la Sensa, le cheminement ne semble pas des plus clairs, si ce n’est qu’il va falloir gravir ou contourner les gradins rocheux étagés qui défendent l’accès à la vasque centrale. En contrebas s’étend la pleta de Los Flaixins, magnifique prairie suspendue occupée par plusieurs mares et ruisseaux auprès desquels musardent les marmottes. Il faut perdre quelques dizaines de mètres en altitude, descendre dans la pleta où on repère aisément une ligne de cairns orientée Nord-Ouest. La sente franchit plusieurs ruisseaux et ondulations de terrain puis enjambe un torrent qui descend de la Maria occidentale. Mieux vaut remplir ici sa gourde car plus haut, les sources risquent d’être rares.

Remonter rive droite le long du torrent jusqu’au pied de la barre rocheuse qu'on franchit de gauche à droite (cairn) par une cheminée sans difficulté. Nouvelle terrasse herbeuse occupée par un laquet en voie d’évaporation (2.450 m). Les nuages se condensent sur le massif du Perdido, ailleurs le ciel vire au bleu céruléen.

La sente cairnée s’élève en lacets pour franchir deux nouveaux gradins rocheux. Le col (2.700 m) est en vue, la pente se redresse.

Un couloir rocailleux et on prend pied sur la crête, contourne les dernières difficultés par le versant Nord. Le panorama comble toutes les espérances même si, très pudiques, les Tres Sorores refusent d’écarter leurs voiles. A nos pieds, le col d’Añisclo et la vallée de Pineta, véritable vue d’avion. La Maria Occidentale nous fait un clin d’œil. Ce sera pour la prochaine fois, les Tres Marias !

Petite parenthèse toponymique : À l’Ouest du canyon d’Añisclo, où prend naissance le canyon éponyme et le rio Bellos, se trouve la trilogie magique du Sobrabe : Cylindre du Marboré, Mont Perdu & Soum de Ramond. Ces trois sommets forment le chainon des Tres Sorores. Un peu plus à l’Est, n’en fait partie la punta de las Olas, reconnaissable à son casque de calcaire pelé, sa carapace fossile, son profil de sphinx lapidé, qui surplombe le col d’Añisclo.

Pourquoi les Tres Sorores et pas les Quatro Sorores ? Au dire d’une antique légende aragonaise, trois jeunes sœurs inséparables, aussi belles que farouches, issues d'un peuple de guerriers et de bergers, vivaient heureuses dans leur vallée. Alors qu'elles gardaient leur troupeau, trois guerriers d'une tribu voisine surgirent, dans l'intention de les enlever de force. Rompues au maniement du coutelas, nos trois bergères se défendirent avec un tel acharnement que les agresseurs ne purent que les taillader du bout de la lance, finissant par transpercer leurs corps. Vidées de leur sang, les trois sœurs périrent sans lâcher leurs coutelas ni demander grâce. Saisis de panique, horrifiés par leur forfait, leurs meurtriers s'enfuirent. Le lendemain, le père, fou de douleur, arpenta la vallée en tout sens et ne trouva trace de ses filles. À sa stupéfaction, il s’aperçut que, barrant le fond de la vallée, avaient surgi trois montagnes, altières et couvertes de neiges éternelles. Elles prirent à jamais le nom des Tres Sorores.

Les Marias, elles, sont connues dans la région sous le nom les trois Sorores de la Sierra de la Suca. Voilà bien des sœurs dans le massif et cela n’est pas fait pour nous déplaire. Leur nom individuel semble sujet à caution. Car aucune des trois Marias ne s’appelle en fait Maria. Trop simple, mon cher Watson ! Si j'en crois la carte espagnole Pirineo Parque nacional de Ordea y Monte Perdido au 1 : 40.000, la Maria occidentale se nomme el Castiecho, les autres ne sont pas nommées. Par contre, sur la carte IGN N°4 au 1: 50.000 Bigorre, la Maria occidentale se nomme La Solana ; la Maria centrale, las Blanca ; et l'orientale, el Castiecho. Tout cela n'est pas d'une limpidité aveuglante. L’ivresse des sommets frapperait-elle les géographes ?

Ajoutons que sur certaines cartes, le col d’d’Añisclo est étiqueté la Cinga (ou la Cega), que sous la plume de certains les mêmes mots désignent aussi bien la Suca que l'ancien pic d’Añisclo, baptisé par Schrader du nom de Soum de Ramond en hommage à Ramond de Carbonnières. Dans Souvenirs d'un montagnard (1878), Henry Russell déplorait déjà cet imbroglio toponymique : « C’est un malheur commun à presque toutes les montagnes de l’Aragon, d’avoir deux ou trois noms, comme les filous. Nos descendants seront bien déroutés quand ils chercheront à classifier ces pics espagnols, qui ont autant de noms que d’arêtes  ou d’aspects ! »

La Suca (2.781 m), est le point culminant de la cordillère qui s'étire du col d’Añisclo au portillon de Tella, à l'Est. D'Est en Ouest, se succèdent les Tres Marias, la Monesima (2.670 m), l’Angones (2.662 m), les 6 puntas Verdes (2.460 à 2.617 m), la Pala de Montinier (2.556 m) et le Mallo Grande (2.510 m). Sinueuse, entaillée de nombreuses brèches, elle consitue un parcours aérien que l’on n’entreprendra pas sans précaution.

Retour : même chemin. Mais on peut aussi redescendre vers la Montaña de Sensa et le cuello Vizeto en empruntant la crête Sud de la Suca, itinéraire de ski de fond sans difficulté majeure (bâtons télescopiques recommandés).