Ascension du Grand Sestrales (2.106 m)

Accès routier  : Vallée de Bielsa. Du tunnel descendre vers la vallée en direction d’Ainsa puis à Escalona prendre à droite la route truffée de nids de poule qui suit le rio Bellos sur 12 km en direction de Nerin et des gorges d’Añisclo. Garer son véhicule sur l’aparcamiento de San Urbez. Départ à 900 m.

Dénivelée  : 1.250 m.

Horaire  : 8 à 9 heures.

Difficulté  : Les randonneurs se concentrent dans la vallée de Pineta, qui donne accès au refuge de Goritz, base de l'ascension du prestigieux mais hypermédiatisé Mont-Perdu, et dédaignent le canyon d’Añisclo, dominé à l’Ouest par le Mondoto et à l’Est par le Grand Sestrales, sommets de trop modeste altitude (respectivement 1.962 m et 2.106 m) pour drainer les chenilles processionnaires. Ici, pas de navette, pas de péage, pas de bouchons, aucune boutique de souvenirs. Profitons-en. L’ascension, réservée aux randonneurs expérimentés et sachant s’orienter, est déconseillée à toute personne sujette au vertige. En période estivale, départ à la pointe du jour, l’après-midi la chaleur devient vite intenable. Prévoir de l’eau en conséquence, on ne trouve ni source ni fontaine sur le parcours.

Cartographie  : Carte n°4 au 1 : 40.000 des Editions Pirineo nantie d'un livret explicatif (Ordesa-Monte Perdido).

Bibliographie : Tonnellé Alfred : Trois mois dans les Pyrénées et le Mdi en 1858 Notes de voyage (Éditions Mont Hélios, 2002). Schrader Franz : Pyrénées Courses et ascensions (Éditions Pyrémonde, 2011). Patrice de Bellefon : Les 100 plus belles courses et randonnées des Pyrénées (Editions Denoël, 1976). Georges Veron : 100 randonnées dans les Hautes Pyrénées (Editions Randonnées Pyrénéennes, 1987). Alain Bourneton : Les Grandes Pyrénées (Editions Glénat, 1995).

Du village de Buerba, l’ancestral Sestrales offre le spectacle d’une citadelle en ruines certes mais imprenable, le regard ne balaye que remparts et gradins abrupts, clochetons et pinacles délabrés, entailles béantes. Rongeant ses flancs calcaires, une forêt épaisse et touffue, où se sont réfugiées les dernières hardes de sangliers subsistant dans le massif. Est-ce bien par là qu’on va passer ? C'est ce qu’indique la carte. On reste pantois à l’idée du premier homme qui s’est frayé un chemin dans ces falaises verticales et ces bois sombres, où abondaient les ours, les loups et les lynx. Sans doute un chasseur du néolithique qui, poussé par la faim, s’enhardit à traquer le sanglier ou le bouquetin sur son propre terrain.

En contrebas du parking, on récupère le sentier du Parc National qui, passé le monastère et la source de San Urbez, s’enfonce dans les entrailles du canyon d’Añisclo. Le nouveau pont domine l’ancien, tous deux surplombent l’écumant rio Bellos de plusieurs centaines de mètres. Curieux que les amateurs de saut à l’élastique n’aient pas jeté leur dévolu sur ce gouffre dont le fond est à peine visible, et manifestement impraticable sans moyens d’exception. L’eau du torrent, d’un glacial vert émeraude, épouse avec fluidité les reliefs de son lit, négocie les obstacles en se jouant, s’évase en cascades à queue de cheval aux ruptures du relief.

Immédiatement après une carte en relief du massif nous informant que nous pénétrons dans le Parc National, prendre à droite la direction indiquée par un panneau : Sestrales. Nous cheminons sur le GR15 qui mène à Bestué, sur lequel on rencontre parfois des touristes à cheval. Tapissé de feuilles mortes, le sentier s’élève rudement, s’infiltre sous des frondaisons ténébreuses et humides, se faufile entre rochers moussus et touffes de fougères. Des résurgences sourdent d’une terre grasse et spongieuse, des arbres morts aux formes extravagantes apparaissent au détour du chemin.

Un vrai sentier de chasseur, raide et tortueux, empierré par endroits pour permettre le passage des ânes ou des mulets convoyeurs des proies abattues. Pas âme qui vive. Hêtres, églantiers, saules, chênes, arbousiers et autres pins à crochets se disputent âprement la place.

Auprès des ruines d’une borda, beau point de vue sur les falaises du barranco de Aires.

Après 2 heures de marche, on sort momentanément du bois. Un promontoire nous accueille (1.280 m). Le barranco d’Aires, flanqué de celui de l’Ouilar, ne manque pas d’impressionner par ses formidables à-pics.

Un dernier panneau indique la direction du Sestrales. On abandonne le chemin de Bestué pour grimper crescendo en forêt à l’assaut du second gradin. Une cheminée facile oblige à poser les mains.

Nouvelle bifurcation, à ne pas manquer au retour. Suivre à gauche une sente en corniche plus ou moins de niveau qui enjambe des couloirs d’éboulis et des prairies suspendues parsemées d’iris. L’air embaume la lavande, la sauge, le thym et le romarin.

Nous tournons le dos à la vallée d’Ainsa et la peña Montañesa, enveloppée d’un voile de chaleur. Le soleil darde ses rayons sur un paysage de plus en plus aride. Les "arizones", ces sortes de hérissons à fleurs jaune vif, s’épanouissent tels des buissons ardents dans cette lumière mordorée.

Le sentier vient buter au pied d’une immense peyrade encadrée d’arbres morts. La rampe est sévère et malcommode, dès que possible débarquer sur la rive gauche où on découvre une sente cairnée dans les rhododendrons.

Le dernier tronçon est plus rocailleux, un peu d’acrobatie s’impose pour négocier le ressaut qui donne accès à une brèche. 3 heures depuis le parking. Altitude 1.960 m. Pause amplement méritée.

Face à nous, le Tozal del Diablo ou doigt du Sestrales ressemble à un monumental donjon moyenâgeux. Son âge, nous disent les géologues, se chiffre en millions d’années. C'est désormais le perchoir des vautours, attentifs à la présence des intrus.

À force de scruter le versant Nord, on finit par distinguer dans les épineux un chemin de ronde faisant le tour des remparts. La trace est étroite et exposée, la pente conséquente. Trébucher équivaudrait à se retrouver 6 ou 700 m plus bas, au fond du barranco de Aires. Vigilance de rigueur.

On se rapproche de la fameuse fenêtre du Sestrales, arcade géante dont le linteau ne semble pas devoir résister longtemps au travail de sape de l’érosion.

Àu terme de la faja, une cheminée réclame un minimum d’attention.

Coup d'oeil dans le rétro sur le doigt du Sestrales et sa faja.

On débouche avec surprise sur les pâturages supérieurs, où un troupeau de chèvres semi-sauvages, a élu domicile.

La montée au point culminant, dont nous sépare une cuvette herbeuse bordée de lapiaz, n’est qu’une formalité. Dix minutes suffisent.

Le promontoire domine de plus de 1.000 m la saignée d’Añisclo et la vue panoramique sur l’envers du décor gavarnien qui s’étend de la Brèche au Pala de Montinier est de celles destinées à s’incruster durablement dans la mémoire.

Rébarbatif, le Sestrales par San Urbez, certes, et pour cette raison peu fréquenté. Les lieux sont déserts. En altitude tournoient quelques vautours, mais le véritable maître de céans arbore un bouc, des cornes et des pieds fourchus. Et les femelles ne le quittent pas d'un sabot.

Historique

Le col d’Añisclo (2.460 m) est une longue dépression de près d’un kilomètre qui sépare la sierra de Las Tres Sorores (Mont-Perdu, Pic d’Anisclo ou Soum de Ramond et Punta de Las Olas) et la sierra de Las Tucas (Suca et Las Tres Marias). La première ascension répertoriée du col est celle du père du pyrénéisme Ramond de Carbonnières qui, après plusieurs tentatives infructueuses par la Brèche de Tuquerouye, décida le 9 août 1802 de gravir le Mont-Perdu par le port de Pinède (ou Pineta). Descendu le lendemain vers le cirque de la Pineta, il rencontra un berger aragonais qui par la Faja de la Tormosa le mena au col d’Añisclo (ou de Niscle), qui donne accès aux gradins orientaux et méridionaux du Mont-Perdu, dont il put enfin fouler la cime, précédé par ses guides Laurens et Pierre Palu.

Au cours de son unique campagne à l’été 1858, Alfred Tonnellé explora la région comprise entre Torla et Bielsa, montagnes alors aussi inconnues que celles de la lune, et donna une première description du Sestrales vu des hauteurs de Vió : « La masse du Sestrales se présente comme une des plus prodigieuses masse de pierres qu’il y ait : immense superposition de terrasses bastionnées, de vrais murs de forteresses flanquées de tours, d’une couleur rouge et ardente. »

Ramond ayant jeté son dévolu sur le canyon d’Ordesa et la Vallée de Pineta, c'est le géographe Franz Schrader (1844-1824), qui lors de sa campagne estivale de 1875 fut le premier à s’intéresser au canyon d’Añisclo et à en expliquer la géologie. Dessinateur et aquarelliste de talent, il venait de publier en collaboration avec son ami Léonce Lourde-Rocheblave une carte au 1 : 40.000e du Mont-Perdu et de la région calcaire des Pyrénées Centrales qui lui valut une notoriété immédiate et l’intronisa dans le cercle des premiers pyrénéistes, Russell, Packe, Wallon, Gourdon, Saint-Saud et Lequeutre. Schrader avait inventé pour la dresser un appareil de son cru, l’orographe, sorte de table d’orientation en réduction, qu’il ne cessa de perfectionner par la suite. Le fondateur de la spéléologie moderne, Edouard-Alfred Martel, salua la parution de cette carte, exceptionnelle par sa fidélité et le rendu du relief, qui révélait deux choses : « la splendeur fantastique du revers espagnol et un topographe de premier rang éclatant en un coup de maître. » En 1875, Schrader, alors accompagné de Lequeutre et des guides Henri Passet et Pierre Pujo, ne s’aventura pas dans les profondeurs du canyon, du col il rejoignit Goritz par le barranco de Fon Blanca. Il y revint en 1877 après son exploration de la garganta d’Escuain et monta au Sestrales (1e ascension répertoriée).