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On démarre en pente douce en se dirigeant Nord-Ouest, tournant le dos au refuge et au massif du Cotiella et à ses sentinelles avancées, la punta Calba, le Mobisón Gran ou Movison Grande et le Mobisón Chicot, énormes pitons décimés par les éléments. |
On passe un instant en sous-bois où on trouve l’amorce d’un sentier qui se perd dans une clairière. Suivre les traces menant à la base des falaises d’El Cantón. On repère à l’orée d’un boqueteau de buis un cairn qui indique la voie. |
Ne pas quitter le sentier qui longe et contourne les murailles par la droite (1.650 m). Échappée belle au passage sur les contreforts du massif de la Cotiella, les puntas Fulsa & Suelza, le chaînon de la Suca et des Tres Marias, le Mont-Perdu et ses satellites. Dernier passage à l’ombre, le soleil nous attend au tournant. |
On atteint rapidement la base d'une peyrade joliment pentue : au menu, pavés et débris croulants, blanchis par le soleil d’Aragon. Les bâtons s'avèrent précieux. La sente se perd dans la pierraille, s’orienter au Nord-Ouest en direction d’une croupe où poussent à profusion des buissons d’épineux et d’arizones ou coussins de belle-mère. On s’écarte des falaises au pied desquelles gisent quantité d'arbres morts. |
La pente s’atténue pour mieux s’accentuer, on atteint le canal de la Litera (1.850 m), torrent à sec l'été que l’on traverse pour grimper raide parmi un énième bosquet de buis. |
Au moment où le sentier se perd, s’élever à gauche en suivant une ligne de cairns plus ou moins visibles. |
On rejoint la large crête Nord-Ouest où on récupère un vague sentier qui s’élève sèchement sur un terrain aride et lapiazé. Joli point de vue à droite sur Saravillo et la vallée de Chistau. |
Suivre la sente cairnée au cheminement aléatoire qui épouse peu ou prou les dos d’âne de la croupe, jonchée de blocs épars. Pas un nuage dans le ciel. Température : 34°C. Le calcaire réverbère la chaleur solaire et accentue l’impression de se trouver non en Aragon mais sur un plateau tabulaire de l’Adrar, en Mauritanie. |
On arrive à une selle herbeuse donnant accès aux pâturages du Clot dera Corona, aujourd'hui abandonnés (2.150 m). Le sentier s’interrompt à ce niveau. Face à nous, un vaste no man’s land boursouflé de dômes aux pelouses jaunies où stagne une mare en cours d’évaporation, repère utile à la descente. |
La punta Llerga est masquée par la colline qui nous fait face à l’Ouest. Pour l’atteindre, s’ériger sur cette butte gazonnée, en laissant l’étang à droite et poursuivre sans dévier de cap. Si l’on souhaite commencer par le débonnaire Betrin (2.252 m), s’orienter au Sud-Ouest en visant une pierre levée. La trace disparaît au pied de ce monticule qui offre une belle vue sur l’austère versant Nord de la Montañesa et son grand pierrier. |
Du Betrin, repartir Nord-Ouest à travers le causse de la Corono Llerga pour accéder aux deux principales sommités du massif, que l’on gravit aisément : le Bocolón (2.268 m) à gauche et le Boltorin (2.266 m) à droite. |
Mieux vaut ne pas souffrir d’agoraphobie sur ce vieux tumulus planté d’une borne géodésique car le regard se perd dans un espace qui semble n’avoir pas de bornes. Admirablement placé à l’écart de la chaîne axiale, la Llerga offre un tour d’horizon inédit sur tous les colosses de la zone : Montañesa, Sestrales, Castillo Mayor, Mont-Perdu, Tres Marias, Robiñera, Munia, Fulsa, Suelza, Bachimala, Posets, Forqueta, Eriste Turbón, Tozal de Guara. Mention spéciale pour le massif calcaire du Cotiella, où on distingue parfaitement le Movison, l’Espouy, ainsi que la partie supérieure de l’Era de las Brujas : l’Ère des sorcières. |
Historique S’il est un massif en cette profonde vallée de Chistau qui perdure en son silence, à l’écart de la trépidance contemporaine, c'est bien le modeste Macizo de Llerga, double éminence également dénommée Lierga, Boltorin, Bocolon, Voltaire ou Voltare. Écrasé au Nord-Nord-Ouest par le Batoua, le Schrader, les puntas Suelza et Fulsa, au Sud par la Montañesa, à l’Est par le Cotiella, au Nord-Ouest par le Mont-Perdu, au Nord-Est par les Posets, le massif ne peut prétendre jouer dans la cour des grands avec ses seuls 2.268 m, et aussi est-il royalement ignoré. Une douzaine de randonneurs s’y aventurent bon an mal an. Quant aux chevriers, ils ont désertés les pacages depuis que les mares sont à sec. Autant dire que les lieux sont déserts, on peut y vadrouiller, y bivouaquer sans craindre de voir surgir à l’improviste une armada de quads ou de moto-crosses. Le seul auteur à classer le Llerga parmi les sommets remarquables du Haut-Aragon est Alain Bourneton, qui écrit : « Cette montagne à plusieurs sommets, dont il est difficile de déterminer la primauté, n’est pas un pic mais une citadelle palissée de tranches calcaires que les forces tectoniques ont portées à la verticalité. Cet espace, ouvert sur toutes les directions, se révèle propice aux errances entre un ciel épuré par une exposition nuancée d’influences méditerranéennes et une sorte de monde montagnard, retiré dans ses hautes terres. À l’exemple des anciens utopistes, il est plaisant d’imaginer ici un microcosme coupé des contingences trépidantes du quotidien et de l’animer par les seules vertus du rêve et de l’imagination. » La première description connue de la montagne de Llerga est due au pyrénéiste Franz Schrader. Durant l’été 1879, il poursuit sa campagne cartographique entamée en 1875 avec l’exploration des sierras qui s’étendent à l’Est du rio Cinca. Travail de Titan. Les gens du pays eux-mêmes, indifférents à la géographie, ne savent pas expliquer l’agencement des vallées et la filiation des rivières. Le sens de l’eau courante leur échappe complètement et le nom des pics changent d’un hameau à l’autre. « Pas un homme n’est encore passé ici ayant des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. » |