Historique
S’il est un massif en cette profonde vallée de Chistau qui perdure en son silence, à l’écart de la trépidance contemporaine, c'est bien le modeste Macizo de Llerga, double éminence également dénommée Lierga, Boltorin, Bocolon, Voltaire ou Voltare. Écrasé au Nord-Nord-Ouest par le Batoua, le Schrader, les puntas Suelza et Fulsa, au Sud par la Montañesa, à l’Est par le Cotiella, au Nord-Ouest par le Mont-Perdu, au Nord-Est par les Posets, le massif ne peut prétendre jouer dans la cour des grands avec ses seuls 2.268 m, et aussi est-il royalement ignoré. Une douzaine de randonneurs s’y aventurent bon an mal an. Quant aux chevriers, ils ont désertés les pacages depuis que les mares sont à sec. Autant dire que les lieux sont déserts, on peut y vadrouiller, y bivouaquer sans craindre de voir surgir à l’improviste une armada de quads ou de moto-crosses.
Le seul auteur à classer le Llerga parmi les sommets remarquables du Haut-Aragon est Alain Bourneton, qui écrit : « Cette montagne à plusieurs sommets, dont il est difficile de déterminer la primauté, n’est pas un pic mais une citadelle palissée de tranches calcaires que les forces tectoniques ont portées à la verticalité. Cet espace, ouvert sur toutes les directions, se révèle propice aux errances entre un ciel épuré par une exposition nuancée d’influences méditerranéennes et une sorte de monde montagnard, retiré dans ses hautes terres. À l’exemple des anciens utopistes, il est plaisant d’imaginer ici un microcosme coupé des contingences trépidantes du quotidien et de l’animer par les seules vertus du rêve et de l’imagination. »
La première description connue de la montagne de Llerga est due au pyrénéiste Franz Schrader. Durant l’été 1879, il poursuit sa campagne cartographique entamée en 1875 avec l’exploration des sierras qui s’étendent à l’Est du rio Cinca. Travail de Titan. Les gens du pays eux-mêmes, indifférents à la géographie, ne savent pas expliquer l’agencement des vallées et la filiation des rivières. Le sens de l’eau courante leur échappe complètement et le nom des pics changent d’un hameau à l’autre. « Pas un homme n’est encore passé ici ayant des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. »
Accompagné de Vincent Passet et d’un guide recruté à Bielsa, il file le lit de la Cinca, emprunte la redoutable corniche de las Devotas, « l’une des plus sombres gorges des Pyrénées, et, à ma connaissance du moins, la plus romantique. ». Son objectif : capturer la Montañesa. Au débouché du défilé, il est frappé par la sauvage beauté du cadre qui s’offre au regard : « Le paysage est admirable. Des murailles superposées, formées de stratification horizontales et couronnées de broussailles ou de pins nous dominent à droite. À gauche, sur l’autre rive, les rochers de Mataire s’élèvent brusquement de plusieurs centaines de mètres. Puis, au-delà d’une dépression arrondie, la montagne de Llerga se dressa à 1.300 mètres au-dessus du torrent. Entre les rochers qui surplombent de notre côté et la tête verticale du Llerga, la peña Montañesa montre une de ses pointes, aussi lumineuse que le ciel. »